PHOTOGRAPHIE (art) Photographie et peinture
La photographie comme art
Dans les années 1960, relayée par la télévision, la photographie cesse d'assumer prioritairement la fonction d'information à laquelle on l'avait subordonnée. Libérée de cette finalité, la pratique photographique se transforme en interrogeant ce qui la constitue. Son pouvoir de distanciation, de médiatisation et de conceptualisation se précisant, elle invite une nouvelle génération d'artistes peintres à s'y intéresser. Dans tous les secteurs de la création s'impose en effet l'idée qu'il est moins nécessaire d'enregistrer ou de traduire le monde extérieur que de reconnaître les instruments permettant de le percevoir. Il devient aussi important d'analyser les expériences favorisant une inscription de la personnalité physique et spirituelle de l'opérateur dans la reconnaissance de la nature.
Au moment où les virtualités de l'abstraction semblent épuisées, les peintres vont permettre à la photographie de trouver une nouvelle dimension créative. Ainsi, dans le contexte du pop art et du nouveau réalisme, la photographie intervient à nouveau dans la peinture ; les expositions montrant ce phénomène se multiplient jusqu'à ce que la Documenta 5 de Kassel en 1972 consacre la photographie comme un moyen artistique à part entière, indispensable et fondamental, ce que soulignera avec encore plus d'évidence la Documenta 6 en 1977 et Documenta 8 en 1987. Désormais, en pénétrant dans les collections publiques ou privées, au même titre que le dessin et la peinture, la photographie brise son isolement culturel. Libérée du culte de l'authentique, elle suscite une autre expression du réel en jouant sur l'écart entre les réalités physiques, optiques et subjectives. La génération des créateurs des années 1960 intègre la photographie, reprend ses effets de cadrage et ses sélections arbitraires ou met en scène ses possibilités de répétition dans des images qui n'ont d'autres fonctions que d'être images, obligeant le public à les analyser abstraitement et à percevoir combien leurs constituants, couleurs, contrastes, trames, se distancient de leur modèle, pour créer un monde en soi, illusoire. Avec des artistes comme Lichtenstein ou Warhol, le tableau lui-même change de statut ; il n'apparaît plus comme la projection d'une individualité sur une toile, mais reconstruit l'image anonyme que notre civilisation produit d'elle-même en se donnant en pâture pour catalyser les désirs de consommation. Ainsi conçue, la peinture est surtout le moyen de communication d'une idée, le champ d'observation d'un état d'esprit ; elle intervient dans la brèche qui sépare l'art de la vie. La reproduction a pris la place de la réalité. C'est encore ce que souligneront un peu plus tard les hyperréalistes.
La génération de 1968, qui veut réconcilier l'art et la vie, s'exprime par des actions, inscrites sous le nom de Body Art et de Land Art, interventions dans l'espace réel dont la photographie est la mémoire exclusive, parfois même l'unique témoin. Si l'art a besoin de la photographie pour exister, celle-ci ne peut-elle être considérée comme l'exclusive et ultime forme de la création ? C'est le constat auquel arriveront, dès les années soixante, des créateurs qui donneront au réel, à partir de la même technique photographique, une autre dimension. L'interstice entre le réel et le trompe-l'œil est infime, mais il suffit à faire douter de l'apparence et permet l'introduction de toutes les subjectivités. La photographie devient lieu de création, mais quelle distance entre un travail de Dibbets et celui d'un Boltanski, d'un Le Gac ou d'un Boyd Webb ! L'espace-temps favorise la réintroduction du narratif, l'image de la réalité interroge la réalité de l'image. Photographier devient le moyen de mettre en place des grilles[...]
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Écrit par
- Jean-Luc DAVAL : doyen de l'École supérieure d'art visuel, Genève, chargé de cours, département histoire de l'art, université de Genève
Classification
Médias
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