PHOTOMONTAGE
L'entre-deux-guerres fut la période glorieuse de l'histoire du photomontage qui fut alors exploité par de nombreux peintres, photographes, graphistes, typographes et publicitaires. Pratiqué sporadiquement au cours du xixe siècle sans que son usage soit sous-tendu par une réflexion sur la spécificité de ce moyen d'expression — excepté peut-être par les photographes victoriens C. G. Rejlander et H. P. Robinson dans leurs photographies d'art composite —, le photomontage, tel qu'on le connaît encore aujourd'hui, fut officiellement inventé par les dadaïstes berlinois à la fin de la Première Guerre mondiale. Il doit sa rapide expansion au développement simultané, en Allemagne et en U.R.S.S., de la presse illustrée et de la propagande par l'image.
Le photomontage est fondamentalement le fruit d'une double opération : le découpage et l'assemblage de fragments d'images photographiques le plus souvent extraites de périodiques illustrés. La nature photographique de ses composantes l'inscrit d'office dans la vérité, mais une vérité toujours partielle. Parce qu'elles sont fragmentées, ses composantes, en effet, mentent par omission. Mais ces fragments sont ensuite remontés dans un nouvel ordre, souvent irrationnel, toujours subjectif, qui modifie radicalement le sens des différents éléments. Souvent, le photomontage est reproduit lui-même photographiquement et même imprimé dans un journal. Ainsi la boucle est bouclée. Le photomontage se situe au carrefour de plusieurs dialectiques : vérité et mensonge, objectivité et subjectivité, unicité et reproductibilité. Sa problématique est celle de tout l'art du xxe siècle.
On distingue généralement deux grandes tendances dans l'histoire du photomontage : l'une est formelle et préoccupée de questions artistiques ; l'autre est militante et soucieuse de questions politiques. La première a pour origine les papiers collés cubistes et la pratique du collage dont elle se distingue parfois difficilement (chez Max Ernst notamment). À cette tendance appartiennent des artistes aussi différents que les dadaïstes berlinois (Raoul Hausmann, Hannah Höch, George Grosz, Wieland Herzfeld et son frère John Heartfield à ses débuts), des surréalistes comme Dalí, Max Ernst, Maurice Tabard ou Léo Malet, des futuristes italiens (Vinicio Paladini, Wanda Wulz), des artistes issus du Bauhaus (László Moholy-Nagy, Heinz Loew, Herbert Bayer, Paul Citroën) et des constructivistes comme Alexandre Rodtchenko avant qu'il n'évolue vers le productivisme militant. La seconde tendance est représentée en Allemagne par l'œuvre antinazie de John Heartfield et, en Union soviétique, par les travaux de Gustav Klutsis, El Lissitzky, Alexandre Rodtchenko et les frères Sternberg.
Le message qu'exprime le photomontage dadaïste tient souvent du manifeste. Dans Tatlin chez lui, Hausmann adjoint au portrait de l'artiste soviétique un cerveau en forme de machine, tandis qu'à ses côtés un mannequin de couturier laisse voir en son sein des entrailles organiques. On retrouve ici le postulat de base de Dada : la destitution de l'artiste « organique » et « nombriliste » — le peintre expressionniste, objet de toutes les diatribes dadaïstes — qui vit en dehors de la société sur laquelle il n'a pas prise. Cette destitution doit s'opérer au profit d'un « constructeur » ou d'un « monteur » ainsi que se faisait appeler Heartfield, s'identifiant à un ouvrier qui travaille à la chaîne et assemble des pièces qu'il n'a pas confectionnées lui-même. En eux-mêmes, les fragments photographiques n'ont aucune signification ; c'est seulement de leurs rapports que le sens surgit.
Avec Moholy-Nagy, professeur au Bauhaus, le photomontage participe à une recherche de plus grande envergure,[...]
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Écrit par
- Marc-Emmanuel MÉLON : professeur de communication à l'Institut supérieur des sciences sociales et pédagogiques de Marcinelle, Belgique, chargé de cours à l'université de Liège
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