PHYSIOGNOMONIE
Les écrivains et la physiognomonie
Beaucoup d'écrivains ont été des admirateurs et des partisans déclarés de Lavater. En Allemagne, il faut citer Goethe, qui fut un grand ami et collabora de près aux Fragments avant de se brouiller avec lui, mais aussi Jean-Paul Richter, Novalis, Schopenhauer... En France, Madame de Staël, Senancour, Chateaubriand, George Sand, Stendhal, Balzac, Baudelaire figurent parmi les lavatériens convaincus, ainsi qu'une foule d'écrivains mineurs comme Eugène Sue. Quand on sait que Balzac a mentionné Lavater (et Gall) plus de cent fois dans la Comédie humaine et que Baudelaire appelait le pasteur zurichois : « cet homme angélique », on mesure son importance pour l'histoire littéraire du xixe siècle. Le romantisme était en accord avec Lavater sur des points essentiels : l'intérêt pour les particularités individuelles, la valeur accordée aux liens instinctifs, aux sympathies, aux affinités qui se créent entre les êtres, le sentiment d'une profonde unité de l'univers, dont « les formes infinies », selon les mots de Balzac, ne sont que « les combinaisons d'un même mouvement, vaste respiration d'un être immense », l'écoute des lois mystérieuses de la nature, dont il est impossible de rendre raison, la foi dans l'interpénétration du monde de la matière et de celui de l'esprit, la recherche des signes divins dans la création, la fascination du fatum. Lavater n'a pas été la seule source, bien entendu. Mais lorsque Bau delaire, à propos de Victor Hugo, poète de « l'universelle analogie », évoque ceux qui les premiers ont enseigné à son siècle que « tout est hiéroglyphique », il cite seulement Swedenborg et Lavater, qui « nous avait traduit le sens spirituel du contour, de la forme, de la dimension ».
Le roman était le genre littéraire le plus susceptible d'établir des correspondances systématiques entre la psychologie, la conduite, la destinée de ses personnages et leur signalement extérieur. À partir des années 1790, le véritable « climat physiognomonique lavatérien » (G. Tytler, 1982) qui domine la culture européenne, va être largement responsable des changements survenus dans la composition du portrait littéraire.
La physiognomonie, qui se présentait comme le moyen de déduire le moral du physique dans la vie réelle, permettait aussi d'accorder le physique et le moral des personnages imaginaires. La circulation à double sens des traités antiques indique bien qu'ils s'adressaient déjà au poète ou à l'orateur cherchant à tracer le portrait symbolique de l'orgueilleux, de l'avare, du magnanime, etc. On aimerait savoir si leurs indications ont été utilisées, par exemple dans les sermons, mais la recherche reste à faire.
Une chose est sûre : des origines (Homère) jusqu'au xviiie siècle, il règne dans la fiction ce qu'on peut appeler un esprit physiognomonique au premier degré : le moral et le physique des personnages sont toujours liés, les bons sont beaux et les méchants, laids, selon les critères esthétiques en vigueur. Ce qui change au cours des siècles, c'est la façon d'évoquer l'apparence extérieure. À la fin du xviie siècle et dans la première moitié du xviiie, on assiste à la montée du « portrait composé » : le narrateur décrit en une seule fois et en détails son personnage, qu'il soit idéalisé ou grotesque. Mais cette peinture ne sert pas encore de support à une présentation du caractère. Un peu avant la parution de l'ouvrage de Lavater, les choses commençaient à changer. On le voit avec Diderot. Comme ses contemporains, il s'intéresse surtout à l'expression (presque toujours stéréotypée) des passions et partage la méfiance de l'Encyclopédie envers l'usage de la physiognomonie dans la vie réelle. Mais, dans[...]
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Écrit par
- Anne-Marie LECOQ : ingénieur de recherche au Collège de France
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Média
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