PHYSIOLOGIE ANIMALE (histoire de la notion)
Physiologie et pathologie
Mais à trop insister sur ce que l'essor de la physiologie au xixe siècle doit aux recherches de laboratoire, on s'exposerait à ne pas comprendre l'ordre – ou le désordre – historique selon lequel les physiologistes ont rencontré ou choisi les problèmes qu'ils se sont attachés à bien poser et à résoudre. On ne doit ni oublier ni sous-estimer le fait que la physiologie est initialement une discipline médicale. L'intérêt spéculatif pour l'explication des mécanismes fonctionnels de l'organisme humain en état de santé s'est greffé sur l'intérêt plus vital, c'est-à-dire plus originaire, suscité par les maladies en tant que perturbations des fonctions de base : respiration, circulation, digestion, excrétions, sommeil, coordinations sensitivo-motrices. Ce sont les maladies qui attirent l'attention sur l'existence de fonctions que leur exercice régulier dérobe à la conscience. Depuis Galien la neurologie a cherché, avec plus ou moins de bonheur, à être la solution des problèmes posés par les névropathies. L'endocrinologie s'est fondée, au xixe siècle, sur des données d'abord fournies par la clinique. C'est ainsi que Brown-Séquard (1818-1894) a induit (1856) l'une des fonctions de la surrénale (corticosurrénale) à partir d'observations cliniques et anatomo-pathologiques réunies antérieurement par celui dont la maladie d'Addison consacre le nom.
Mais une chose est de déterminer la responsabilité de tel ou tel organe dans tel ou tel désordre organique et autre chose de connaître le véhicule physique ou chimique de son action. Par la méthode anatomo-clinique, on peut parvenir à désigner l'organe, mais on n'en peut rien attendre concernant l'explication du processus fonctionnel. Le problème est alors transporté de la clinique au laboratoire, et la recherche de la solution est transposée en général de l'homme à l'animal. La lutte contre la vivisection qui a mobilisé, au xixe siècle, tant d'énergies religieuses, morales ou « humanitaires » est le témoin indirect de l'extension de cette pratique méthodologique dans les laboratoires de physiologie. Du seul point de vue scientifique, la pratique des vivisections posait une question théorique majeure, celle de savoir s'il est possible de conclure, à partir d'expériences faites sur l'animal, à l'identité des mécanismes fonctionnels chez l'animal et chez l'homme. Aujourd'hui, l'objection a perdu de son poids. On sait que l'extrapolation d'observations d'une espèce animale à une autre implique toujours un risque d'erreur. La physiologie comparée constitue une limite aux prétentions d'une physiologie générale qui se fonderait uniquement sur les résultats d'expérimentations pratiquées sur l'animal. Il est incontestable, en revanche, que l'organisation de l'homme et certaines organisations animales présentent de nombreuses analogies fonctionnelles. Mais surtout les observations et les explorations fonctionnelles sur l'homme lui-même ont été rendues possibles grâce à l'invention d'appareils initialement conçus pour l'étude de la physiologie animale. Avec les techniques de l'électrocardiographie, de l'électroencéphalographie, on peut explorer directement les fonctions du muscle cardiaque ou du cortex cérébral sur l'homme lui-même, lors même que les données de base ont été acquises par l'expérimentation sur l'animal.
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Écrit par
- Georges CANGUILHEM : professeur honoraire à l'université de Paris-I-Sorbonne
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