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PHYSIQUE Le modèle en physique

Hiérarchie des modèles. Modèles et objets

La notion de modèle est associée à une idée de simplification systématique, d'ensemble organisé, de structuration des possibles. Dans une certaine mesure, le modèle semble ainsi s'opposer à l'objet comme le possible et le provisoire s'opposent au nécessaire et au permanent. En fait, un modèle possède toujours une certaine plasticité. Il représente, bien entendu, une distribution donnée de paramètres et de degrés de liberté. Toutefois, il est possible de concevoir une distribution différente de ces mêmes paramètres (ou d'un nombre plus grand), distribution ajustable à une expérience ultérieure ou même à une situation expérimentale identique.

On pourrait donc penser qu'un modèle est d'autant meilleur que sa plasticité est plus grande. En augmentant indéfiniment le nombre des rouages d'une construction (et des paramètres d'une loi physique), on pourrait adapter le modèle à un contexte expérimental sans cesse élargi.

Toutefois, le rôle de la physique ne consiste pas à suivre pas à pas les méandres de l'expérimentation pour les incorporer dans une description servile. Au contraire, une explication est d'autant plus convaincante qu'elle s'éloigne davantage des apparences pour les retrouver ensuite, comme des conséquences nécessaires et quantitatives, issues nécessairement, c'est-à-dire univoquement, de ses principes. Aussi une théorie est d'autant plus « explicative » qu'elle introduit un modèle plus rigide, qu'elle contient moins de paramètres arbitraires. C'est à la limite seulement qu'elle cesse d'être étalonnée par l'expérience et qu'elle permet de prévoir l'expérience. C'est à cette condition que le « modèle » se transforme en «  objet ».

D'autre part, une théorie « objective » ne doit pas cette qualité à l'adoption ni même à l'utilisation d'un formalisme ou d'un principe réputé simple, simplicité bien difficile à définir et à justifier. C'est en essayant de résorber l'aspect phénoménologique des apparences dans une description (géométrique, analytique) d'où les particularités provenant de l'observation sont progressivement exclues, c'est dans cette marche vers ce qu'Einstein appelle l'« extra-personnel » que la physique reconquiert le particulier et impose son objet.

Néanmoins, s'il est aisé d'esquisser pratiquement les traits des « modèles » de la physique, si l'on peut facilement dénoncer leur caractère éphémère et polyvalent, les assimiler à des ballons d'essai acheminant à des constructions moins fugaces, une séparation radicale entre modèle et objet n'est pas sans danger. Elle pourrait introduire, renouvelant les vieilles querelles, une regrettable dichotomie entre le domaine du « comment », régi par le modèle et concédé à la physique et celui du « pourquoi », abandonné à la philosophie ou bien au scepticisme.

D'autre part, toute assimilation de l'objet au modèle ne risque-t-elle pas de disqualifier la physique dans l'essentiel de ses recherches ? Il ne semble pas, mais une telle discussion sort du cadre de cette étude.

Si la physique, science des apparences, ne peut logiquement ni pratiquement se désolidariser d'un « modélisme », elle assure progressivement et de façon univoque son objectivité. Jouant sur la diversité et sur la plasticité des modèles, elle dégage une voie qui définit sans équivoque possible, mais de façon dynamique, la validité de son objet et l'invariance de ses lois.

— Marie-Antoinette TONNELAT

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