PHYSIQUE Les fondements et les méthodes
Physique et réalité
Le degré de raffinement auquel la physique est déjà parvenue, tout autant que l'étendue considérable des connaissances qu'elle recouvre, pose de manière aiguë le problème de la réalité, ou, si l'on préfère, celui de la signification même de ces connaissances. Comment se fait-il que l'on n'ait jamais buté contre une contradiction sans la résoudre, que l'on n'ait jamais rencontré les limites du rationnel, que l'évolution de la physique, malgré la multiplication de ses objets et de ses découvertes, se soit toujours traduite par une synthèse fondée sur des lois moins nombreuses, plus riches d'applications et plus cohérentes ? Comment se fait-il que le raisonnement mathématique ait tant à dire sur les faits naturels ? Nous présenterons rapidement les réponses qui ont été proposées à ces questions, ou plutôt les attitudes auxquelles elles ont donné lieu. Il est naturel de situer cette discussion dans un exposé relatif à la physique, car c'est sans doute là que les questions se posent de la manière la plus nette avec le plus de données.
Parmi les physiciens et les spécialistes de la philosophie des sciences, il semble qu'on puisse distinguer trois positions principales que l'on désignera comme pragmatique, néo-positiviste et réaliste.
L'attitude pragmatique
On peut résumer l'attitude pragmatique par la formule bien connue : « La science est l'ensemble des recettes qui réussissent toujours », ce qui revient à rejeter le problème. Cette attitude, que l'on confond quelquefois abusivement avec celle de l'empirisme critique, n'est pas étrangère, aujourd'hui encore, à grand nombre de physiciens, et peut-être à une majorité, qui la font leur comme allant de soi.
Il semblerait pourtant que ce point de vue soit étroitement associé à l'état de la science au xixe siècle, prérelativiste et préquantique. À l'époque où l'on pouvait, avec lord Kelvin, représenter tous les phénomènes physiques à l'aide de modèles mécaniques simples, il n'y avait pas de différence essentielle entre le problème de la réalité tel qu'il se pose dans le cadre de la science, et tel qu'il apparaît dans l'interprétation de l'expérience quotidienne. Ramenant ainsi le premier problème au second, on revenait à une question philosophique, et d'ailleurs métaphysique, très classique. La méfiance étant très grande à l'époque pour ce genre de spéculations, on préférait la rejeter purement et simplement.
Lorsqu'on tient compte des progrès de la connaissance accomplis au xxe siècle, et cela au prix d'un éloignement certain des représentations intuitives communes, on voit que les questions posées plus haut ont pris une acuité beaucoup plus vive, alors que la réponse pragmatique simplifiante demeure très en deçà.
L'attitude néo-positiviste
L'attitude néo-positiviste a surtout été soutenue par des philosophes, au premier rang desquels il convient de citer, avec des nuances diverses, Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein et Rudolf Carnap. Elle partage au premier abord un point de vue qui a été longuement développé dans la physique contemporaine, laquelle insiste tout particulièrement sur le rôle de l'observateur, tant en relativité qu'en mécanique quantique. Dans le cas de la relativité, parler de l'observateur revient en fait à spécifier un système de référence particulier, de telle sorte que son rôle n'est qu'apparent. En mécanique quantique, par contre, la description des systèmes étant faite en termes de probabilités, il peut se poser réellement des problèmes selon que l'observateur a ou non reçu une information lui donnant le résultat d'une expérience déjà faite (c'est là la source d'un problème classique, souvent qualifié de paradoxe, qui fut proposé par Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen).[...]
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Écrit par
- Roland OMNÈS : professeur à l'université de Paris-Sud, Orsay, doyen de la faculté d'Orsay
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