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PHYSIQUE Physique et mathématique

La nature du rapport des mathématiques et de la physique

On commencera par observer qu'une formule telle que « les mathématiques s'appliquent aux autres sciences » est déjà une prise de position sur le fond du problème, en ceci qu'elle caractérise le rapport des mathématiques auxdites sciences comme un rapport d'application. Il s'agirait donc d'un rapport instrumental, les mathématiques intervenant comme pur outil technique, en position d'extériorité par rapport au lieu de leur intervention. Une telle description paraît justifiée dans le cas de la chimie, de la biologie, des sciences de la Terre, etc., c'est-à-dire, en général, des « sciences exactes » autres que la physique. Le rôle des mathématiques y est en effet réduit, pour l'essentiel, au calcul numérique, c'est-à-dire à la manipulation du quantitatif. Il peut s'agir d'applications élémentaires, comme l'équilibrage de réactions chimiques, ou, toujours en chimie, l'évaluation des valences, ou de cas plus complexes comme l'utilisation de méthodes statistiques en génétique. Mais chaque fois on peut affirmer l'existence d'une séparation assez nette entre l'arsenal conceptuel propre à l'un de ces domaines scientifiques et les techniques mathématiques qui y sont utilisées. Plus précisément, et pour ne prendre que quelques exemples plus ou moins arbitraires, des concepts fondamentaux tels que ceux de corps pur ou corps simple, de réaction, de liaison chimique, d'oxydation et de réduction en chimie, de structures primaire, secondaire et tertiaire des protéines, d'activité enzymatique, d'allostérie, de code génétique en biologie moléculaire, de sédimentation, de métamorphisme, de faciès, de géosynclinal en géologie, n'ont rien de mathématique ni dans leur définition ni dans leur mise en jeu.

Il en va tout autrement en physique, où les mathématiques jouent un rôle plus profond. Il serait en effet difficile de trouver un concept physique qui ne soit indissolublement associé à un (ou plusieurs) concept(s) mathématique(s). Comment, par exemple, penser de façon efficace le concept de vitesse sans faire intervenir celui de dérivée ? Comment penser « champ électromagnétique » sans penser « champ de vecteurs » ? Comment penser « principe de relativité » sans penser « théorie des groupes » ? Comment penser « variable dynamique quantique » sans penser « opérateur auto-adjoint dans un espace de Hilbert » ? Les mathématiques sont ainsi intériorisées par la physique. On dira que celles-là ont avec celle-ci un rapport de constitution. C'est une idée voisine qu'exprimait déjà Bachelard : « Les hypothèses de la physique se formulent mathématiquement. Les hypothèses scientifiques sont désormais inséparables de leur forme mathématique : elles sont vraiment des pensées mathématiques [...]. Il faut rompre avec ce poncif cher aux philosophes sceptiques qui ne veulent voir dans les mathématiques qu'un langage. Au contraire, la mathématique est une pensée, une pensée sûre de son langage. Le physicien pense l'expérience avec cette pensée mathématique... » Et ailleurs : « Le mathématisme est non plus descriptif mais formateur. » Cependant, la discrimination pensée-langage n'est pas parfaitement claire ; par ailleurs, Bachelard parle de la « mathématisation progressive, dynamique dominante de l'histoire des sciences » en général, étendant ainsi, au-delà de la physique, une caractéristique que l'on montrera plus loin être au contraire spécifique de cette dernière. Mais on précisera d'abord ce qui est désigné ici comme « rapport de constitution ». Bien entendu, un concept physique n'est pas, ne s'identifie pas, ne se réduit pas au(x) concept(s) mathématique(s) qu'il met en jeu ; la physique ne se ramène pas à la physique mathématique. Il importe de ne pas concevoir[...]

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