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PHYSIQUE Physique et mathématique

Le polymorphisme mathématique de la physique

Il convient donc d'écarter explicitement une interprétation plus ou moins platonicienne du rapport entre physique et mathématiques qui amènerait à concevoir le travail du physicien comme un simple décryptage permettant de retrouver « l'harmonie cachée des choses » (Poincaré), exprimée par les relations mathématiques, sous la complexité des phénomènes que seraient les faits physiques. Encore une fois, parler de rapport de constitution, ce n'est pas sous-entendre que chaque concept physique a une constitution mathématique absolue qui serait sa vérité profonde, son essence définitive. Il suffit, pour s'en persuader et pour attirer l'attention sur la nature dynamique de ce rapport, de prendre conscience d'un caractère essentiel des lois et concepts physiques, que l'on appellera leur polymorphisme mathématique. On désignera ainsi la propriété qu'ont ces lois et concepts de posséder plusieurs mathématisations possibles. Ainsi, le mouvement rectiligne uniforme peut être conçu soit géométriquement : espaces égaux parcourus dans des temps égaux (Galilée), soit fonctionnellement : dépendance linéaire de la distance couverte par rapport au temps, soit encore analytiquement (« différentiellement » même) : vitesse constante ou accélération nulle (Newton). Un exemple moins grossier serait fourni par la dynamique du point dans un champ de forces conservatif, qui peut être formulée au moyen d'équations différentielles (formulation newtonienne), d'équations aux dérivées partielles (formulation hamiltonienne), de principes variationnels (formulation lagrangienne), etc. Naturellement, les différentes formulations d'une même loi sont rigoureusement équivalentes, au sens des mathématiques. Elles ne le sont pas au sens de la physique, qui établit une distinction claire entre de telles formulations. Cette distinction peut se faire par rapport au passé, dans la mesure où elle reflète justement l'histoire d'un domaine ; le surgissement de nouvelles formulations correspond en général à la nécessité de résoudre des problèmes nouveaux et/ou à l'évolution historique des mathématiques elles-mêmes.

L'existence de ces expressions diverses d'un « même » concept ou d'une « même » loi renvoie ainsi très directement à leur mode de production effectif. Leur coexistence à un moment donné traduit parfois la persistance de vestiges archaïques dans un domaine où une refonte épistémologique arrivée à maturation n'a pas été menée à bien (c'est le cas de la mécanique quantique aujourd'hui). Plus souvent, elle correspond à l'existence de situations diverses, tant par leur complexité que par leurs connexions, où une même loi peut être mise en jeu de façons différentes et plus ou moins efficaces suivant la formulation utilisée. C'est pourquoi la physique, différant en cela des mathématiques (au moins sous leur forme moderne), se laisse difficilement axiomatiser. Entre des énoncés déductibles les uns des autres, le physicien hésitera toujours à établir un ordre hiérarchique. « Principes » et « lois » ont en physique une mobilité relative, une interchangeabilité bien supérieure à celle des axiomes et des théorèmes des mathématiques. L'importance de ces remarques s'inscrit encore mieux par rapport à l'histoire future que par rapport à l'histoire passée. Entre les diverses formulations équivalentes d'une même loi à telle époque, c'est en général l'extension à des phénomènes nouveaux qui opérera la discrimination, limitant les unes à un domaine désormais circonscrit, ouvrant aux autres un champ d'action plus vaste. Ainsi, pour reprendre l'exemple cité plus haut, la mécanique relativiste tolère mal la formulation newtonienne (essentiellement fondée sur l'idée d'action à distance instantanée), mais accepte une formulation lagrangienne plus « simple » encore que la théorie non relativiste. Enfin,[...]

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