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PHYSIQUE Physique et mathématique

La plurivalence des mathématiques en physique

On achèvera de dissiper l'illusion d'une harmonie préétablie entre concepts physiques et concepts mathématiques en évoquant, réciproquement au polymorphisme mathématique des lois physiques, la plurivalence physique des structures mathématiques. Ainsi, les équations différentielles linéaires (à coefficients constants) du deuxième ordre régissent-elles les vibrations mécaniques, les oscillations électriques et bien d'autres phénomènes. L'équation aux dérivées partielles de Poisson gouverne aussi bien l'électrostatique que la théorie (statique) de la gravitation, la diffusion de la chaleur et celle des neutrons (en régime stationnaire), l'équilibre d'une membrane élastique déformée, l'écoulement laminaire d'un fluide à deux dimensions, etc. Feynman fait justice de toute interprétation idéaliste de ces identités formelles : « Cependant, dit-il, une question se pose sûrement à la fin d'une telle discussion : pourquoi les équations relatives à ces différents phénomènes sont-elles si semblables ? On pourrait dire : c'est l'unité profonde de la nature. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Que pourrait vouloir dire pareille proposition ? Cela pourrait signifier simplement que les équations sont semblables pour différents phénomènes ; mais alors nous n'avons assurément donné aucune explication. L'« unité profonde » pourrait signifier que tout est fait de la même matière et, par conséquent, obéit aux mêmes équations. Cela paraît une bonne explication, mais réfléchissons. Le potentiel électrostatique, la diffusion des neutrons, l'écoulement de la chaleur : traitons-nous là de la même matière ? Pouvons-nous vraiment imaginer que le potentiel électrostatique est physiquement identique à la température, ou à la densité de particules ? Il est certain que ce n'est pas exactement la même chose que l'énergie thermique des particules. Le déplacement d'une membrane n'est certainement pas la même chose qu'une température. Pourquoi alors y a-t-il une « unité profonde » ?

« Une observation plus poussée de la physique de ces nombreux sujets montre en fait que les équations ne sont pas vraiment identiques. L'équation que nous avons trouvée pour la diffusion des neutrons n'est qu'une approximation, valable seulement pour des distances grandes devant le libre parcours moyen. En regardant de plus près, nous verrions les neutrons se déplacer individuellement dans différentes directions. Certainement le mouvement individuel d'un neutron est quelque chose de tout à fait différent de la variation douce que nous avons obtenue en résolvant l'équation différentielle. L'équation différentielle est une approximation, parce que nous avons admis que les neutrons étaient également répartis dans l'espace.

« Est-il possible que cela soit la clé du problème ? Que ce qui est commun à tous les phénomènes c'est l'espace, le cadre dans lequel est placée la physique ? Tant que les choses varient de façon raisonnablement douce dans l'espace, ce qui sera important, ce seront les variations des grandeurs avec la position dans l'espace. C'est pourquoi nous obtenons toujours une équation avec un gradient. Les dérivées doivent apparaître sous forme d'un gradient ou d'une divergence : comme les lois de la physique sont indépendantes de la direction, elles doivent pouvoir s'exprimer sous forme vectorielle. Les équations de l'électrostatique sont les équations vectorielles les plus simples qui ne contiennent que les dérivées des grandeurs par rapport aux coordonnées d'espace. Tout autre problème simple – ou toute simplification d'un problème compliqué – doit ressembler à un problème d'électrostatique. Ce qui est commun à tous nos problèmes, c'est qu'ils font intervenir l'espace et que nous avons[...]

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