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PHYSIQUE Physique et mathématique

Les mathématiques et la spécificité de la physique

La singularité de la physique dans son rapport aux mathématiques est évidemment très difficile à saisir pour les conceptions qui font des mathématiques un « langage ». On a vu qu'elles sont en effet contraintes de penser ce langage comme universel, c'est-à-dire s'appliquant à toutes les disciplines scientifiques. Ce point de vue oblige donc à traiter la physique, où, de façon empiriquement évidente, les mathématiques « marchent mieux », comme ne différant que quantitativement des autres sciences. Cette différence peut être pensée historiquement : on dira alors que la physique est « plus avancée » que les autres sciences et que cela explique son degré de mathématisation plus poussé. Ce seraient par exemple les méthodes expérimentales plus fines, un meilleur contrôle des conditions d'expérimentation qui rendraient compte de la possiblité de mesurer, quantitativement, toute grandeur physique. À son tour, cette mesurabilité générale permettrait l'intervention des mathématiques, « science du nombre » par excellence. Non seulement ce point de vue n'explique pas pourquoi la physique aurait ce privilège historique, mais encore il est profondément erroné. Réduire les mathématiques à la manipulation du quantitatif constitue une erreur de même nature que les considérer comme un simple langage. Même dans les branches des mathématiques mises en jeu lors des calculs numériques courants, telles que la théorie élémentaire des fonctions, des concepts fondamentaux, tels que ceux de dérivée, de limite, ne sont pas numériques ! On notera a fortiori le rôle en physique quantique de la théorie des groupes ou de l'analyse fonctionnelle, dont le rapport avec l'aspect quantitatif des mesures physiques est pour le moins lointain.

On pourrait être alors tenté de localiser la singularité de la physique dans l'objet de sa pratique plutôt que dans sa situation historique. Ainsi trouve-t-on exprimée l'idée que la physique est « plus fondamentale » que les autres sciences de la nature. S'attaquant aux structures les plus profondes de la nature, elle mettrait en lumière ses lois les plus générales, implicitement pensées comme « plus simples », en un sens aristotélicien, et donc plus mathématisables. Dans tous les cas, on en arrive à une conception hiérarchisée des diverses sciences (n'a-t-on pas dit que la physique était la « reine des sciences » ?). La mathématicité prend alors un caractère normatif et devient critère de scientificité. Mais le développement même des diverses disciplines scientifiques contredit ce point de vue, qu'il s'agisse de la persistance de sciences telles que la chimie et la géologie comme disciplines autonomes, ou de l'apparition de sciences neuves telles que la biologie moléculaire. On a déjà indiqué plus haut que ces sciences disposaient de leurs propres concepts, non mathématisés, mais dont la cohérence mutuelle et le rapport aux pratiques expérimentales spécifiques de leur domaine propre suffisent à assurer la scientificité. De fait, la connaissance que donne la physique de la structure atomique et la possibilité qu'elle apporte d'une théorie détaillée de la valence ou de la réaction chimique ne rendent pas ces concepts de la chimie inutiles et caducs pour autant ; bien au contraire, elles en permettent l'approfondissement au moins autant et par cela même qu'elles en montrent les limites. En d'autres termes, lorsque les progrès d'une discipline scientifique lui ouvrent l'accès à un domaine jusque-là réservé à une autre, on n'a en général pas affaire à un simple déplacement de frontière. C'est plutôt un statut de double nationalité qui s'instaure, avec tous les avantages et inconvénients que cela peut supposer. Le véritable problème à étudier ici serait celui de la nature du rapport (application ou/et constitution) entre deux sciences. Les cas de la physique et de la chimie,[...]

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