PIANO
L'interprétation pianistique
On sait peu de chose des grands virtuoses du xixe siècle, en dehors des témoignages et de ce que leur musique nous révèle. Clementi, Cramer, Frédéric Kalkbrenner et Johann Nepomuk Hummel ont assuré la transition vers le xixe siècle, alors que Henri Herz, Henry Litolff, Camille-Marie Stamaty, Liszt, Sigismund Thalberg ou Clara Schumann correspondent au stéréotype du virtuose romantique, entouré d'une aura mystérieuse à la façon de Paganini. Anton Rubinstein, Francis Planté, Hans von Bülow, Camille Saint-Saëns, Louis Diémer et Raoul Pugno font oublier cette virtuosité romantique, au profit d'un retour vers le classicisme, très sensible en France.
C'est seulement à partir de la génération suivante que nous possédons des témoignages sonores qui permettent une véritable analyse de l'évolution de l'interprétation. Ignaz Paderewski (1860-1941), Eugen d'Albert (1864-1932) et Ferrucio Busoni (1866-1924) font figure d'héritiers privilégiés de Liszt ou de Theodor Leschetitzki : approche passionnée de la musique, d'une sincérité excessive au point d'en altérer le texte pour l'adapter à la conception d'ensemble : l'enregistrement de la Sonate « Clair de lune » de Beethoven par Paderewski en est l'un des exemples les plus frappants. Parallèlement, Busoni fait revivre la musique de Bach, dont il transcrit au piano les grandes œuvres d'orgue, alors qu' Édouard Risler (1873-1929) et Blanche Selva (1884-1943) ressuscitent Le Clavier bien tempéré. En 1906, Risler donne l'intégrale des sonates de Beethoven, événement essentiel pour Paul Dukas.
À la même génération se dessinent deux nouvelles orientations. Certains pianistes, comme Ricardo Viñes (1875-1943) ou Marguerite Long (1874-1966), se consacrent à la musique de leur temps, créant ou suscitant une nouvelle littérature : Fauré, Debussy, Ravel, Granados ou Albéniz leur doivent la diffusion rapide de leur musique ; Marguerite Long saura transmettre le flambeau à ses disciples qui, généralement, se limiteront au répertoire qu'elle avait révélé. Sans négliger la musique de leur temps, Alfred Cortot (1877-1962), Joseph Lhévinne (1874-1944) et Sergueï Rachmaninov (1873-1943) se présentent encore comme des héritiers tardifs du piano romantique. Mais ils savent tempérer les excès de leurs aînés par un retour au texte et une nouvelle tendance à la construction d'ensemble. La notion de son s'impose, supportée par un nouvel usage de la pédale, plus parcimonieux, et la technique digitale se développe.
Avec Artur Schnabel (1882-1951), Wilhelm Backhaus (1884-1969), Edwin Fischer (1886-1960) et Arthur Rubinstein (1886-1982), une page semble tournée. Schnabel et Backhaus donnent à l'œuvre de Beethoven une dimension nouvelle par une approche globale ; Rubinstein modernise l'héritage de Paderewski ; Fischer affirme une conception du classicisme faite de rigueur et de contrastes autour d'une transparence sonore et d'un phrasé toujours naturel : nouvelle vision qui s'étend au répertoire romantique dès la génération suivante avec Yves Nat (1890-1956), Walter Gieseking (1895-1956), qui a également marqué la musique de Debussy et de Ravel, ou Clara Haskil (1895-1960), merveilleuse mozartienne. Wilhelm Kempff (1895-1994) surprend par son inspiration sans cesse renouvelée, sa poésie et un toucher difficile à égaler, Claudio Arrau (1903-1991) s'impose par l'architecture solide de ses interprétations, Rudolf Serkin (1903-1991) allie fougue et poésie, alors que Robert Casadesus (1899-1972) offre une synthèse à la française fondée sur la rigueur classique. Mais la personnalité la plus étonnante de cette génération reste Vladimir Horowitz (1904-1989), personnage de légende par sa fabuleuse maîtrise de l'instrument et la rareté de ses apparitions.[...]
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Écrit par
- Daniel MAGNE : agent général pour la France des pianos Bösendorfer, expert et conseiller technique auprès du Conservatoire national de musique de Paris, membre de l'Association française des accordeurs-réparateurs de piano
- Alain PÂRIS : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France
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