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PIC DE LA MIRANDOLE (1463-1494)

En sa courte vie, le comte de Mirandole et de Concordia compta plus d'ennemis que d'amis, mais sa pensée, à la fois conciliatrice et polémique, provocatrice et séductrice, répétitive et apparemment contradictoire, exerça une influence multiple sur des philosophes appartenant à des horizons fort éloignés les uns des autres.

On peut se contenter de voir en lui, à l'aube de la Renaissance « nordique » – puisque l'Italie avait déjà produit dans tous les domaines de l'art et de la pensée quelques-uns de ses chefs-d'œuvre –, l'un des pères spirituels de Lefèvre d'Étaples, de John Colet, de Thomas More, pour ne pas parler d'Érasme, qui lui saura un gré infini d'avoir tourné définitivement le dos à la theologia disputatrix héritée de la scolastique pour poser quelques jalons majeurs dans la voie royale de cette théologie philologique et nourricière de l'âme, où il devait lui-même passer maître.

De l'exploratio à la disputatio, de la disputatio à la contemplatio

L'existence de Giovanni Pico della Mirandola peut être divisée en deux périodes nettement distinctes, et même opposées, comme le fit dans sa célèbre Vita son propre neveu, Gian Francesco. Le point de rebroussement de la courbe serait marqué par la fameuse « dispute » romaine : avant, une période d'erreurs et d'errances, de gloire « mondaine », d'aventures galantes, de recherches passionnées du plaisir et du savoir ; après une plongée dans la foi, un retour à l'esprit du Christ, une visée des joies de la patrie céleste, la gloire de Dieu et la « lumière » submergeant la gloire personnelle et les « ténèbres ». On pourrait parler, avec Giovanni Di Napoli, d'un Pic « explorateur », précédant et peut-être préparant cette contemplation finale.

Ange Politien, fresque de C. Rosselli - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

Ange Politien, fresque de C. Rosselli

Né au castello di Mirandola, dans la région de Modène, troisième fils de Gian Francesco Pico et de Giulia Boiardo, le jeune comte possédait dès son berceau les privilèges d'une illustre ascendance et d'un riche patrimoine ; sa prestance, heureusement associée à des dons intellectuels hors de pair, devait être célébrée par Ramusio à Padoue, par Politien à Florence. Il perdit tôt son père, et devint l'objet des soins particulièrement attentifs, sinon exclusifs, de sa mère. Femme d'une grande sensibilité et d'une piété fervente, celle-ci souhaitait pour son fils une brillante carrière ecclésiastique. De fait, à dix ans, l'enfant est nommé par Sixte IV protonotaire apostolique et les insignes de sa dignité lui sont conférés par le cardinal Francesco Gonzaga. La même année, il était proclamé prince des orateurs et des poètes. À quatorze ans, il fréquente à l'académie de Bologne les cours de droit, et en deux ans devient un canoniste réputé. Mais les Décrétales le dégoûtent rapidement : c'est de la nature entière qu'il veut désormais pénétrer les secrets, et son ambition est d'acquérir, ni plus ni moins, la science universelle. Pendant sept ans, il parcourt les plus célèbres universités d'Italie et de France, suivant les leçons des plus illustres professeurs et acquérant, en disputant généralement contre eux, une éloquence et une acuité de jugement inégalables. À Ferrare, il étudie les lettres avec Giambattista Guarino, et, de 1480 à 1482, la philosophie à Padoue, où il affronte les idées de l'averroïste Nicoletto Vernia. À Pavie, il s'adonne à la philosophie avec Maioli et au grec avec Adramiteno. En 1484, à Florence, il se lie d'amitié avec Marsile Ficin, Laurent le Magnifique, Ange Politien, et devient vite l'un des plus célèbres et actifs collaborateurs de l'Académie platonicienne. En 1485, à Paris, il entre en relations avec Charles VIII et les humanistes de la capitale, dont l'historien Robert Gaguin. En même temps[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours

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Ange Politien, fresque de C. Rosselli - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

Ange Politien, fresque de C. Rosselli

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