PIC DE LA MIRANDOLE (1463-1494)
L'un et le multiple, Dieu et le monde
Dans aucun de ses traités, Pic n'a fait un exposé complet et systématique de sa philosophie, mais on peut également dire que les thèmes dominants de sa pensée apparaissent dans la plupart d'entre eux, l'Heptaplus, le De ente et uno, l'Oratio de hominis dignitate. Philosophe de la conciliation – princeps concordiae, comme l'appelaient ses contemporains en jouant sur le mot de Concordia qui désignait par ailleurs la principauté dont il était le comte –, il prétend parvenir à une synthèse des philosophies de Platon et d'Aristote, comme à celle de la philosophie et de la théologie. Affirmant l'identité de l'objet que celles-ci visent l'une et l'autre, à savoir la vérité, il résume sa pensée en une formule fameuse : « Philosophia veritatem quaerit, theologia invenit, religio possidet. » Il affirme aussi l'unité de l'être et de l'objet de la connaissance, unité qui est Dieu lui-même. Entre le monde et Dieu existent les mêmes rapports dialectiques qu'entre le multiple et l'un, puisque s'est opérée une sorte d'identification substantielle entre ces termes, pris deux à deux. L'univers, synthèse du multiple, se compose de trois ordres de réalité, le monde intellectuel – celui de Dieu et des anges –, le monde céleste – celui des corps célestes ordonnés en dix sphères concentriques, dont la dernière est l'empirée ou coelum empireum, source et origine du mouvement dans l'univers – et enfin le monde élémentaire ou sublunaire – celui des êtres terrestres. L'homme est un microcosme, et, en tant que tel, il est composé d'éléments empruntés à ces trois ordres de réalité, formant en quelque sorte un monde en soi. Ces éléments infus dans la substance humaine sont le corps, l'âme et l'esprit, ce dernier ayant une fonction de synthèse unifiante entre les deux premiers. Ainsi se trouve réalisé un véritable miracle de la nature humaine, une synthèse de l'un et du multiple. Dans le meilleur des cas, il arrive à l'homme d'atteindre à la plénitude de l'être ou à la félicité suprême : dans le cas où il réalise sa propre essence, c'est-à-dire en parvenant à une parfaite harmonie entre les éléments qui le composent. En effet, le grand principe de la félicité qui s'étend à toutes les créatures est celui de leur retour à leur origine spécifique. Ces idées sont en grande partie dérivées de la tradition néo-platonicienne et des écrits du pseudo-Denys concernant l'organisation du monde en harmonie avec les sphères célestes et la transmission des effets d'En Haut à la sphère terrestre. On peut également supposer qu'en dépit de la christianisation de sa vie et de sa pensée dans les années florentines, Pic demeura fidèle à l'enseignement padouan et à l'averroïsme d'Elia del Medigo. On sait que, dans les limites prescrites par l'image médiévale du monde, l'averroïsme tentait de donner une explication rationnelle de la nature, sans l'intervention d'aucun dogme théologique. C'est donc dans le cadre d'un déterminisme universel que le problème de l'un et du multiple pouvait se poser. La nature n'est pas érigée en un principe transcendant, car elle n'a ni commencement ni fin dans le temps, elle exprime la totalité de la matière et du mouvement. À la catégorie théologique de la création comme à la catégorie métaphysique de l'émanation était opposée la doctrine de l'éternité du monde. En fait, si l'on examine attentivement son œuvre, on se rend compte que Pic utilise simultanément le schéma créationniste, le schéma émanationniste et le schéma rationaliste et naturaliste des commentateurs arabes d'Aristote. Mais aucune de ces solutions ne lui paraît capable de résoudre le problème[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
Classification
Média
Autres références
-
FIGURATIF ART
- Écrit par Jacques GUILLERME
- 2 901 mots
- 1 média
...en allégorie. En ce sens, figurer c'est rendre visible une structure ésotérique selon une contention qu'a bien illustrée l'humaniste Pic de la Mirandole au xvie siècle : « [...] les anciens Pères eussent été incapables de représenter chaque chose sous la figure convenable, s'ils n'eussent... -
RENAISSANCE
- Écrit par Eugenio BATTISTI , Jacques CHOMARAT , Jean-Claude MARGOLIN et Jean MEYER
- 31 095 mots
- 21 médias
...Filelfo (1398-1481), C. Landino (1424-1498), E. Barbaro (1453-1493), A. Politien (1454-1494). Galateo (1444-1517) est médecin à la cour de Naples ; M. Ficin (1433-1499) traduit Platon et les néo-platoniciens sous la protection des Médicis.Pic de la Mirandole (1463-1494) était comte de la Concordia. -
HUMANISME
- Écrit par André GODIN et Jean-Claude MARGOLIN
- 11 423 mots
- 2 médias
...aujourd'hui d'idéologie – l'humanisme de la Renaissance n'exprime pas une philosophie déterminée. Un titre, celui du discours De dignitate hominis de Pic de la Mirandole (1486), et une phrase de ce discours préciseront un aspect essentiel de cet idéal humaniste, incarné dans des œuvres et dans une action... -
KABBALE
- Écrit par François SECRET et Gabrielle SED-RAJNA
- 7 223 mots
L'expression de kabbale chrétienne désigne un courant d'idées fort complexes qui, depuis le scandale des thèses De omni re scibili de Pic de La Mirandole, à la fin du Quattrocento, se développa avec des fortunes diverses à travers l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la France, l'Angleterre, les Pays-Bas,...