PIC DE LA MIRANDOLE (1463-1494)
L'idée du microcosme et la « dignité de l'homme »
Le discours intitulé De hominis dignitate (ou Oratio de homine, in qua sacrae et humanae philosophiae mysteria explicantur) constitue en fait la préface que Pic avait rédigée pour la défense de ses neuf cents thèses. On peut considérer ce texte, en dehors de toutes les idées de Pic. Il constitue également, dans cette dernière partie du Quattrocento, comme la proclamation urbi et orbi de l'avènement d'un monde nouveau, la charte en quelque sorte de l'humanisme, d'un humanisme assurément christianisé, et même d'un humanisme chrétien, quoique en un sens différent de celui d'Érasme, de More ou de Vivès.
Certes, l'image de l'homme-microcosme n'est pas nouvelle, et il n'est pas de culture ou de pensée mythique qui ne l'ait abondamment exploitée. Les philosophes s'en sont emparés à leur tour, ces philosophes grecs et orientaux dont Pic avait lu tous les livres, comme les philosophes plus récents qu'il connaissait aussi. Il ne se satisfait pas cependant de l'idée commune de l'homme, composé de deux natures, l'une corporelle et l'autre spirituelle, car, dit-il, qu'aurait alors cet être de spécifiquement humain ? Ce qu'il veut démontrer, ce n'est pas la similitude substantielle de l'homme avec le monde, mais plutôt sa différence spécifique : ce par quoi l'homme occupe une position privilégiée et même exceptionnelle parmi toutes les créatures. L'homme est un être libre, autrement dit son essence ne lui est pas conférée par la providence divine ou par la force aveugle de la nature : il se la donne à lui-même, il est ce qu'il devient, et il devient ce qu'il se fait. L'homme est l'artisan de son propre destin – ne disons pas de sa nature –, à moins de voir dans la nature de l'homme non pas une donnée de base, mais la réalisation ou l'actualisation d'une essence. Pensée audacieuse qui, présentée ex abrupto, pourrait évoquer un anthropocentrisme renaissant fort éloigné de l'enseignement théologique traditionnel. Si l'homme est l'artisan ou l'architecte de sa destinée, quelle part est laissée à Dieu ? La lecture attentive et généreuse de Pic montre que cette dignité essentielle de l'homme qu'il voulait affirmer à Rome en 1486 n'est pas en contradiction avec l'attitude humble et repentante du frère prêcheur, disciple de Savonarole, soumis à la volonté de Dieu : tout au plus, la notion judéo-chrétienne de la similitude entre l'homme et Dieu (l'homme « créé à l'image de Dieu ») se présente-t-elle dans l'Oratio de 1486, sous son aspect créateur et dynamique. Et d'ailleurs, la libre soumission à la loi divine n'est-elle pas de la part de l'homme un acte créateur ? Cette idée de Pic aura une grande fortune à l'époque de la Renaissance et plus tard, bien que cette anthropologie ait donné naissance à des thèses qui se sont déployées dans des directions très différentes de sa propre inspiration. Mais, pour rester dans sa lignée spirituelle, comment ne pas évoquer le mot célèbre d'Érasme dans son Traité de l'éducation des enfants de 1529 : « L'homme ne naît pas homme, il le devient » (ou plutôt, pour rendre exactement l'expression latine, fingitur, « il se fabrique tel »). C'est à la grâce divine que l'homme doit ce bien précieux d'être, à la deuxième puissance et dans les limites tracées par l'ordre du monde et la volonté de Dieu, son propre créateur.
Il s'agit là d'une philosophie de l'homme essentiellement activiste, dont la forme importe peut-être plus que le contenu : car ce qui est intéressant ici, c'est moins l'affirmation du libre arbitre de l'homme, avec l'argumentation habituelle à Pic, que l'attitude[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
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