PICASSO ÉROTIQUE (exposition)
Jusqu'en 1968, il était possible de tenir l'œuvre érotique de Picasso comme « une affirmation sans drame de l'Éros » (Pierre Dufour). Mais lors de l'exposition, cette année-là, à la galerie Leiris des 347 gravures faites à Mougins entre mars et octobre, il fallut présenter dans une salle privée, fermée à clé, la suite de Raphaël et la Fornarina où l'on voit le pape et Michel-Ange en position de voyeurs. La loi, qui sanctionne l'exhibition du sexe féminin et les scènes sexuelles trop explicites, permettait ainsi de cantonner l'aspect subversif de la série, au moment même où la révolution des mœurs prônée par le mouvement de Mai-68 remettait en question l'autorité morale. Une fois de plus, Picasso avait été l'artiste de son temps. Mais on s'empressa de (dé)considérer les œuvres érotiques exposées en Avignon en 1970 et en 1973 comme des manifestations séniles d'exhibitionnisme.
L'exposition Picasso érotique présentée du 20 février au 20 mai 2001 à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris restituait à ce pan de l'œuvre de Picasso sa brûlante actualité au moment où les films de Catherine Breillat et de Virginie Despentes, ou le livre de Catherine Millet La Vie sexuelle de Catherine M. (Seuil, Paris) faisaient l'objet de controverses. Il ne s'agissait pas d'un hommage à la partie secrète de l'art d'un vieux maître ou d'une onction déposée sur l'œuvre mono-orientée d'un champion de l'érotisme comme le fut Georges Bataille, ou encore d'une exposition-écrin façon anthologie de Jean-Jacques Pauvert dans le domaine littéraire. Ce que nous disent les commissaires de l'exposition, Jean Clair en tête, c'est que « l'œuvre de Picasso est tout entière érotique ».
L'exposition montrait qu'il y eut chez Picasso trois moments forts dans la production d'érotiques. La première correspond au jeune Picasso : intérieurs de maisons closes, étreintes, prostituées de la période bleue jusque vers 1903, scènes de harem, exhibition du sexe féminin, scènes très intimes de la période rose (1904-1907). Cette époque culmine avec les études pour les Demoiselles d'Avignon (1906-1907) que Salmon qualifia de « bordel philosophique ». Le couple Éros-Thanatos, s'entoure alors de références à Goya, à Degas, à Rodin (Étreinte, 1901) ou à Gréco comme dans L'Enterrement de Casagemas où les prostituées remplacent les anges de L'Enterrement du comte d'Orgaz.
Le deuxième moment est inauguré par La Danse dionysiaque ou Le Baiser de 1925 révélant a posteriori la charge pulsionnelle de la déconstruction cubiste ; Figures au bord de la mer (1931) et les exploits du Minotaure témoignent dans les années 1930 de la proximité de Picasso et du surréalisme : viols, scènes tauromachiques, bacchanales et investissement fantasmatique de la mythologie traduisent le développement imaginaire de l'érotisme.
Le troisième moment correspond aux dix dernières années (1963-1973) de la vie de Picasso, une manière d'« œuvre ultime » reprenant l'intuition initiale des 180 dessins parus dans la revue Verve de 1953-1954 sur le thème du peintre et du modèle qui avaient ramené l'érotisme dans l'atelier. C'est en sollicitant la complicité de Raphaël et de la Fornarina, mais aussi celle d'Ingres, de Rembrandt et Saskia ou de Degas (La Maison Tellier ou Degas chez les filles, 1970-1971), en reprenant les thèmes de Suzanne et les vieillards ou de Salomé que Picasso vieillissant élargit considérablement le jeu érotique par la jouissance de la référence et le recours aux multiples masques. Ne faut-il pas y voir l'apport de l'artiste aux happenings, au moment où Jean-Jacques Lebel, l'un des pionniers de l'art de la performance, qui est justement à l'origine de l'exposition[...]
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Écrit par
- Thierry DUFRÊNE : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre
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