Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PICASSO-RODIN (expositions)

Prélever, montrer, collectionner

L’histoire du lien entre Rodin et Picasso n’est donc pas celle d’une rencontre effective. Elle n’est pas davantage celle d’une influence au long cours, qui ferait de ces champions de la modernité les héros d’un avènement successif de la liberté plastique au fil du xxe siècle, comme on en écrivit parfois le déroulement en adoptant une compréhension téléologique de l’invention de l’art contemporain. Les historiens, les directeurs de musée aussi, se montrent aujourd’hui surtout sensibles aux multiples renouvellements artistiques qui rythment le xxe siècle, à la polyphonie d’une chronologie plus diverse qu’on ne l’a cru. Dans ce tumulte, les commissaires de l’exposition ont choisi de mettre en valeur des convergences esthétiques entre Picasso et Rodin, en pratiquant une histoire de l’art comparée, expérimentale théoriquement et féconde plastiquement.

Trois thèmes principaux marquent ce parcours. En premier lieu, le rapport au réel passe, pour Rodin comme pour Picasso, par l’invention de modes figuratifs nouveaux, excluant l’art abstrait et reposant souvent sur des modes inédits de collecte, de prélèvement ou d’empreinte d’éléments naturels intégrés dans des assemblages. Ces procédés, bien connus chez Picasso (Composition au papillon, 1932, musée Picasso), sont moins nombreux chez Rodin, mais tout aussi déterminants (Nu féminin de l’Éternelle Idole et nu féminin assis sur un rocher et branche de houx, après 1900, musée Rodin). Ce rapport à la nature induit une survalorisation du corps, dans ses métamorphoses comme dans sa multiplicité d’objet du désir, Éros nourrissant l’énergie d’une production plastique sans cesse renouvelée au fil des années.

Le deuxième point est l’importance cruciale de l’atelier, lieu réel et mythique de l’invention des formes, de la production des œuvres et de leur première exposition, auxquelles la photographie vient assurer un statut public inédit : Brassaï immortalise dans ses noir et blanc les sculptures de Picasso à Boisgeloup dans les années 1930 comme Steichen sut, dès 1908, capturer de nuit le Balzac à Meudon.

Une pratique nourrie de la collection alimente, enfin, le musée réel et imaginaire de ces deux artistes qui ont pris soin de se créer un environnement de vie et de travail où foisonnent œuvres anciennes, créations contemporaines et objets extra-européens ‒ pour Picasso du moins. À l’achat en masse d’œuvres en vrac par Rodin répond, chez Picasso, une collecte plus disparate au fil des échanges et des rencontres, mais tout aussi déterminante et riche. Inventer un art nouveau, c’est aussi pour eux regarder, collectionner, assembler.

Le propre de cette exposition n’est pas tant de souligner des identités factuelles que de mettre en évidence des analogies, des pulsions communes nourrissant des inventions esthétiques extrêmement différentes, mais qui se répondent au fil des salles avec de nombreux bonheurs d’accrochage. L’histoire comparée souligne les spécificités de Rodin comme de Picasso et ce fut la réussite de cette exposition que de les donner à voir avec une vigueur renouvelée.

— Paul-Louis RINUY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII

Classification