PIÈCES DE GUERRE, Edward Bond Fiche de lecture
On ne saurait séparer les Pièces de guerre (The WarPlays, 1985), composées par le dramaturge britannique Edward Bond (1934-2024), du contexte contemporain de leur écriture : la guerre froide du début des années 1980, et la menace nucléaire qui occupait alors les esprits. À tel point que Bond lui-même a pu justifier le choix de son sujet en proclamant que la destruction nucléaire était alors le seul sujet possible pour l'art.
Chez le dramaturge, le propos politique, prenant comme détour la fiction apocalyptique pour mieux pointer les failles du monde actuel, s'accompagne d'une exploration des formes théâtrales du passé, assortie de perpétuelles innovations esthétiques. Les Pièces de guerre jouent d'une tension entre un régime dramatique, fondé sur le dialogue et la relation interpersonnelle, et des techniques épiques telles que l'adresse frontale au public ou le récit choral. Mais elles proposent également un agencement variable des parties qui la composent. De même qu'elle entreprend de relire le devenir de l'humanité à travers le prisme de sa destruction, l'œuvre offre une traversée des formes dramaturgiques, de la tragédie antique au théâtre épique. Bien plus pourtant qu'un catalogue formel, la démarche de Bond se veut une expérimentation théâtrale du politique.
Un théâtre de cataclysme
La première des trois pièces, Rouge noir et ignorant (Red Black and Ignorant), est placée sous le signe du théâtre d'agit-prop, théâtre d'agitation et de propagande, apparu en URSS et en Allemagne après 1917. Faisant office de prologue, elle se compose d'une série de tableaux qui sont autant d'épisodes de l'existence virtuelle et tronquée d'un Monstre brûlé par le feu des bombes : « Mon sang pue : flaques sur sols d'usine : acide/ Mes bandages sont brûlés par l'acide/ Les mots arrachent mes dents : les souches de vieux arbres/ Elles s'entrechoquent dans ma bouche : jeu de dés/ Je les crache et compte : la fin du monde ! »
La Furie des nantis (The Tin Can People), la deuxième pièce, se déroule dans un désert postnucléaire, au sein d'une communauté de survivants persuadés, parce qu'il leur reste de quoi subvenir à leurs besoins pour des siècles et qu'ils n'ont donc pas à travailler, de jouir d'un état paradisiaque, avant que l'arrivée d'un étranger ne coïncide avec le déclenchement d'une épidémie qui les décime.
La troisième pièce, Grande Paix (Great Peace), relate le calvaire d'une femme traînant dans le même désert un baluchon qu'elle chérit comme son enfant. Son errance a débuté après le crime fratricide accompli par son fils, à qui l'armée, pour cause de pénurie, avait intimé l'ordre de supprimer un nouveau-né de son voisinage.
Une série d'éléments (le désert postatomique, la présence de certains personnages) contribue à assurer une continuité entre la deuxième et la troisième partie de la trilogie, même si le début de l'action de Grande Paix se situe dans un temps antérieur à celui de La Furie des nantis. Le développement des deux pièces s'articule autour du moment non représenté de l'explosion atomique, événement destructeur, sur le plan thématique, de tout édifice social, politique ou institutionnel, mais dramaturgiquement fondateur. Le cataclysme devient le point d'appui de la fiction bondienne, légèrement anticipatrice, et lui permet de montrer sur la scène la constitution ex nihilo d'une société humaine.
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Autres références
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BOND EDWARD (1934-2024)
- Écrit par Encyclopædia Universalis et David LESCOT
- 1 390 mots
- 1 média
...tragédie athénienne, dont il conceptualise à plusieurs reprises l'apport dans L'Énergie du sens (1998), sa principale somme esthétique et théorique, ou dans son Commentary on « The WarPlays » (Commentaire sur les « Pièces de guerre »), écrit quelques années plus tôt et publié en 1991. Cette...