PASOLINI PIER PAOLO (1922-1975)
À l'égal de sa mort atroce sur la plage d'Ostie, un assassinat trop simple et trop mystérieux à la fois, et en partie à cause d'elle, la vie et l'œuvre quasi indissociables de Pasolini furent souvent recouvertes d'un double voile. Rejet et fascination s'entrecroisent sur les deux faces de ce terrible linceul, tantôt médiatique et tantôt mythologique.
Cela n'a pas aidé à une connaissance sereine de l'œuvre immense, multiforme et parfois hermétique de Pasolini, l'une des plus marquantes de l'Europe du xxe siècle. L'aspect victimaire en constitue certes un élément non négligeable. Dire que Pasolini fut bien une « sainte Jeanne des abattoirs » italienne, avant sa métamorphose en héros sacrilège cosmopolite, ne contrevient pas à la vérité profonde de ses poèmes, films, dessins et peintures, critiques littéraires, picturales ou cinématographiques, pièces de théâtre, interventions théoriques et politiques, scénarios, romans expérimentaux, récits courts, récits de voyage ou « auto-fictions ». Il n'empêche que trois obsessions au moins contredisent, chez lui, l'égocentrisme lié à la position du martyre volontaire : son obsession de la vitalité, son amour démesuré pour les autres, et sa confiance absolue en la fantaisie affabulatoire. En ce sens, de son vivant comme longtemps après sa disparition, l'œuvre de Pasolini lutte avec la première énergie contre les forces de mort.
Le refus d'être soi
Reconnaître dans l'œuvre protéiforme de Pasolini une seule et immense « autobiographie » est une étape préalable nécessaire à son appréhension, mais insuffisante à sa totale compréhension. Tout au long de sa vie, Pasolini traverse une à une les formes connues de la narration de soi-même, puis les dépasse en les reversant sur le monde. « Je me suis retourné sur le monde comme un gant », écrit-il en 1954 dans une lettre à un ami, avant d'ajouter cette profession de foi : « On ne se perd jamais, la corruption est impossible. »
Si Pasolini « résista » et « lutta », ce fut toujours, comme il l'écrivit, « avec les armes de la poésie », c'est-à-dire d'abord et avant tout contre lui-même. Manier le scandale, explique-t-il dans une lettre à un jeune poète (20 avril 1970), consiste à « se scandaliser ».
Le refus d'être soi (à savoir, pour Pasolini : bourgeois, homosexuel, communiste, artiste d'avant-garde) va de pair avec le fantasme, toujours répété, d'être un autre. Il explique aussi la confiance infinie qu'il accorde aux pouvoirs du conte, de l'« affabulation ». (« Pasolini aime la réalité, mais pas la vérité », écrit-il dans une „auto-recension“ », Il Giorno, 3 juin 1971.)
D'où le scénario récurrent, que l'on retrouve aux points cardinaux de sa création et de son existence : Pasolini apprend et use des codes d'un domaine donné, se soumet délicieusement à leurs lois, puis les contredit brutalement de l'intérieur, selon un véritable « empirisme hérétique ».
Né à Bologne en 1922 alors que s'instaure le fascisme, Pier Paolo Pasolini est le fils aîné d'un officier de l'armée italienne, Carlo Alberto Pasolini dell'Onda, qu'il hait, et d'une institutrice frioulane originaire de Casarsa della Delizia, Susanna, née Colussi, qu'il vénère. Promené de ville en ville au gré des affectations paternelles mais néanmoins éternel premier de la classe, il répond à toutes les phases d'un Œdipe parfait, qu'il représentera dans le prologue de son film Œdipe roi, en 1967. Il se découvre pourtant homosexuel. Publiés après sa mort, en 1982, Amado mio et Actes impurs, double roman de jeunesse issu de son journal intime (dit les « cahiers rouges ») déjà très littéraire et distancié, mettent en scène, avec quelques autres récits plus[...]
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Écrit par
- Hervé JOUBERT-LAURENCIN : maître de conférences d'esthétique du cinéma à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
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Médias
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