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PIERCING

Si les pratiques rituelles de percement de certaines parties du corps humain sont attestées dès l'époque néolithique, le body piercing est quant à lui apparu à la fin du xxe siècle. Il désigne un phénomène de mode occidental qui s'est progressivement répandu et banalisé en partant des marges et/ou avant-gardes de la société – mouvements underground des hippies et des punks, milieux des artistes et de la mode, homosexuels... Il consiste à fixer un bijou (boucle, anneau, pierre précieuse, rivet, pointe, etc.) par un percement de la peau, situé généralement mais pas exclusivement au bord des orifices du corps : bouche, nez, oreilles, yeux, nombril, seins, sexe. Le changement complet de registre de cette pratique passée en très peu de temps du statut de signe d'exotisme ou d'étrangeté à celui de mode banalisé de distinction esthétique témoigne d'une transformation de la relation au corps, au percement ou à l'inclusion d'objets dans la peau.

Du rituel à l'infamie

Traditionnellement, le percement du corps intervient dans un ensemble d'actes ritualisés porteurs de sens symboliques. L'introduction de labrets dans les lèvres, de pastilles de bois dans le nez ou de pendants d'oreilles témoigne à la fois d'une recherche esthétique et d'obligations rituelles. Comme toute marque corporelle, l'objet inclus dans la peau se trouve placé au carrefour du symbolique et de l'esthétique. La douleur ritualisée qui préside à son installation est également une épreuve exaltante qui fait accéder le membre du groupe à un autre état. Passage de l'enfance à l'adolescence, inclusion dans la communauté, désignation identitaire, le percement marque toujours la séparation d'avec le corps originel, l'obtention d'une nouvelle humanité, l'accession à une identité partagée. Il peut aussi au passage dénoter la richesse ou le mérite particulier de celui ou de celle qui est percé : ancienneté, valeur au combat, fécondité...

Dans l'Ancien Testament, on trouve plusieurs mentions d'anneaux d'or, associés à l'idée de soumission ou d'idolâtrie : anneau fixé au nez de Rébecca lorsqu'elle est choisie pour épouser Isaac (Genèse, xxiv, 22) ; anneaux d'oreilles jetés avec les dieux étrangers lors de la fondation de l'autel de Béthel par Jacob (Genèse, xxxv, 4) ; ou offerts par les fils et filles d'Israël pour la confection du veau d'or (Exode, xxii, 1). Si le Lévitique proscrit les incisions, les figures, les marques dans le corps, ces interdictions semblent avoir été peu suivies d'effets.

Le percement du nez est aussi attesté en Égypte ancienne et en Inde ; celui de la bouche est pratiqué dans les civilisations aztèque et maya ; celui des oreilles est courant en Mésopotamie, en Grèce, à Byzance, en Inde (le Bouddha a porté des anneaux quand il était prince, les lobes distendus de ses oreilles en témoignent), ainsi que chez les peuples germains et plus tard chez les Francs. Cependant le christianisme reprend les interdits judaïques et prohibe toute marque corporelle qui mutile le corps de l'homme fait à l'image de Dieu. Aussi la pratique disparaît en Occident avec la christianisation de la population, vers le ixe siècle, tandis qu'elle persiste en Orient et dans les pays en contact avec les Maures, comme en témoignent les récits de voyageurs.

Le percement devient au Moyen Âge une marque d'infamie. Les sculptures et les tableaux réservent anneaux, pendeloques, chaînes à des personnages réprouvés dans l'iconographie chrétienne : le juif déicide, le bourreau, le spectateur païen de la crucifixion. L'infâme est celui qui n'est pas ou plus chrétien – le juif, le sarrasin (musulman), l'hérétique –, mais aussi celui ou celle qui exerce un métier impur – la prostituée, le bourreau, le jongleur, le fou de cour,[...]

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