CROMMELYNCK PIERO (1934-2001)
Fils du dramaturge belge Fernand Crommelynck, auteur du Cocu magnifique que Picasso illustra en 1966, Piero Crommelynck est né à Rapallo en Italie en 1934 où il fut élevé jusqu'à la fin de sa scolarité.
Son père, dessinateur amateur passionné, le poussa, ainsi que ses frères aînés Milan et Aldo, à pratiquer dès l'enfance le dessin, et c'est peut-être la raison pour laquelle, en 1952, il retrouva ses frères à Paris pour un stage d'initiation à la gravure dans l'atelier de Roger Lacourière. Cet atelier, ouvert en 1929 à Montmartre, avait accueilli les plus grands noms de la gravure, de Jean-Émile Laboureur à Matisse, en passant par Léger et Braque. C'est là que, jeune apprenti fasciné, Piero Crommelynck vit Picasso travailler, sans dessin préparatoire, le cuivre vierge et trouva sa voie : „Depuis ce jour, j'étais entré dans le monde de la taille-douce comme on entre en religion...“
Les frères Crommelynck ouvrirent à leur tour, en 1959, un atelier rue de Gergovie ; la qualité et la finesse de leur travail attirèrent très vite un grand nombre d'artistes, notamment André Masson, Alberto Giacometti, Jacques Villon, Joán Miró, Alberto Magnelli, Henri Michaux.
La véritable aventure va cependant commencer pour Piero et Aldo Crommelynck quand Picasso les fait venir à Mougins, en 1963, pour leur confier la quasi-totalité des tirages de ses gravures.
Une étroite collaboration s'établit alors entre eux pendant dix ans : „Au village de Mougins, où se trouve notre atelier, à Notre-Dame-de-Vie, mas de Picasso, la route nous est maintenant familière. Nous l'appelons la route du cuivre, car depuis longtemps déjà nous l'empruntons, par périodes, à toutes heures du jour et même de la nuit, durant des semaines et parfois des mois, pour apporter au maître des plaques finement polies qu'il grave aussitôt“ (A. et P. Crommelynck, „Picasso noir et blanc“, in Arts loisirs, 1966).
Les plaques de cuivre redescendent dans l'ancienne boulangerie qui sert d'atelier aux frères Crommelynck pour le tirage qui va être soumis ensuite à Picasso qui les retravaille avant un nouveau tirage et ainsi de suite afin d'obtenir les différents états d'une gravure.
Piero et Aldo Crommelynck tirent d'abord la série des 60 planches érotiques réalisées entre le 27 août et le 12 novembre 1966, puis la fameuse Suite des 347 gravures exécutée par Picasso, entre le 16 mars et le 5 octobre 1968, stupéfiant journal intime de l'artiste dans lequel Piero Crommelynck apparaît auprès de Raphaël et de la Fornarina dans la séquence du même nom. 66 gravures de la Suite sont consacrées à La Célestine dont l'édition en livre tiré à 400 exemplaires paraît en 1971. La Suite des 156 gravures est enfin gravée et tirée entre le 24 octobre 1968 et le 25 mars 1972. Picasso a rendu hommage à Piero Crommelynck en le mettant en scène dans la première gravure de cette dernière série avec sa femme Lenda et leur fille Karine dans l'atelier, et en lui consacrant, en 1969, trois peintures intitulées Piero à la presse, étonnantes calligraphies peintes où l'on reconnaît sans peine sa mince silhouette et sa courte barbe.
Piero Crommelynck fut très présent dans l'œuvre peint et gravé de Picasso parce que ce dernier voyait en lui, au-delà de l'ami, le témoin de l'art et de la création et aussi l'assistant fidèle. Piero Crommelynck entendait être le parfait instrument de la pensée ou de la main de Picasso, parfois guide dans le domaine technique mais sans jamais se permettre la moindre interprétation. Piero et son frère Aldo surent être les hommes discrets, passionnés et attentifs qui permirent à Picasso de laisser parler son inspiration et sa verve avec une maîtrise souveraine, une liberté et une spontanéité sans égales vis-à-vis du cuivre.
En 1973, après la mort[...]
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Écrit par
- Dominique DUPUIS-LABBÉ : conservateur au musée Picasso
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