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MANZONI PIERO (1933-1963)

Tableaux sans peinture et lignes sans dessin

Après avoir réalisé quelques travaux traditionnels, le jeune artiste utilise les objets et mêle du goudron à ses peintures, qui semblent plus vouloir recueillir la réalité brute qu'exprimer la psyché du peintre. L'exposition dans laquelle Klein présentait onze monochromes bleus (Milan, janvier 1957) lui suggère moins de recourir, lui aussi, à la monochromie, que de profiter de l'espace de liberté ouvert par de tels tableaux.

Peu après, Manzoni réalise ses premiers Achromes. Au lieu d'employer de la peinture, il utilise du plâtre, puis du kaolin – une argile blanche, réfractaire, qui participe à la composition de la porcelaine. L'artiste en sature la toile, qu'il plisse selon ses désirs, avant de la fixer sur un châssis. Les formes qui apparaissent alors, pétrifiées dans la matière séchée, ne sont pas tracées sur la surface. Elles émanent directement du traitement imposé à la toile, qui n'est plus ici un support destiné à s'effacer derrière la peinture, mais un élément essentiel de l'œuvre. Cette technique, comme le thème des plis, opère une savoureuse conflagration entre le tableau et la tradition de la sculpture.

Les premiers Achromes pouvaient paraître blancs. Le a privatif du titre générique de ces œuvres indique que leur blancheur doit être considérée comme une absence de couleur. Par la suite, Manzoni tend de simples toiles constituées de carrés cousus, utilise du feutre, du coton tressé, des boules de coton hydrophile, du gravier, du polystyrène, de la peluche, des fibres de verre ou encore des pains plastifiés, de la paille, des peaux de lapin. Tous ces Achromes nous convient au plaisir d'une littéralité narquoise. Certains sont imprégnés de produits chimiques qui réagissent aux variations de l'hygrométrie ambiante : ils n'ont plus de couleur puisqu'ils en changent au gré du temps qu'il fait.

À partir de 1959, parallèlement à l'exécution de ces tableaux sans peinture, Manzoni trace des lignes de dimensions variables. La plus longue, réalisée sur un rouleau de papier d'imprimerie, mesure 7 200 mètres. Le principe est immuable : une ligne par feuille, parallèle à ses bords et qui la parcourt entièrement, titrée Linea, appellation suivie de la longueur (lunghezza) de la ligne et de la date. Chacune d'elles est ensuite enfermée dans un cylindre de carton ou de métal. Rectilignes, ouverts aux deux extrémités sur un infini potentiel, ces tracés ne se convertissent jamais en dessin. Ainsi, non seulement Manzoni dissocie le dessin de la couleur, mais il prive chacune de ces deux entités de leurs usages artistiques consacrés. À ces jeux avec des débats récurrents sur la prévalence, en peinture, du dessin ou de la couleur, il ajoute parfois le plaisir d'introduire le doute. Certains des containers sur lesquels un cartel annonce la présence d'une ligne enfermée sont scellés. Comment s'assurer de leur contenu, d'autant plus que sur l'un d'eux – en fait un simple cylindre de bois noir –, le texte stipule : « Contiene una linea di lunghezza infinita » (1960) ?

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Autres références

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