ABÉLARD PIERRE (1079-1142)
Si l'œuvre et la carrière d'Abélard font de lui le type des premiers professeurs urbains, l'histoire de sa vie personnelle est singulière. Il vient parmi les tout premiers en trois domaines : philosophie, logique et théologiescolastique. Mais son apport dans ces deux dernières disciplines a été très vite intégré ou dépassé. En un siècle où le savoir s'accroît sans cesse, sa position d'avant-garde et son influence ont rapidement décliné. Philosophe, la vigueur de sa pensée est exceptionnelle, mais il l'exerce sur un terrain étroit, négligeant même de vastes secteurs que n'ignoraient pas ses contemporains (sciences, philosophie de la nature). C'est, à tous points de vue, une personnalité remarquable et qui déconcerte : attachante et irritante, archaïque et déjà moderne. C'est en tout cas un contresens, commun à certaines autorités religieuses de son temps et à plusieurs historiens, que de voir en lui un adversaire ou un critique de la tradition. Son indépendance et son originalité en respectaient les limites.
Vie et œuvre
Pierre Abélard naît au Pallet, près de Nantes, en 1079. Aîné d'une famille de petite noblesse, il décide de se consacrer aux lettres, et particulièrement à la logique (la dialectique). La première partie de sa vie se passe en études, en controverses : études itinérantes, où il a notamment pour maîtres Roscelin et Guillaume de Champeaux ; controverses avec le même Guillaume et Anselme de Laon, maître en Écriture sainte. Il enseigne à Corbeil, à Melun et à Paris où il parvient enfin à s'installer ; déjà célèbre, il y explique à de nombreux étudiants les textes fondamentaux de la logique et l'Écriture ; il y acquiert gloire et argent. Après quelques années de succès paisible, il séduit Héloïse, fille fort lettrée, nièce du chanoine Fulbert ; un fils leur naît, qu'Héloïse nomme Astrolabe ; Fulbert les contraint à un mariage, qu'ils veulent garder secret. Héloïse s'étant retirée au monastère d'Argenteuil, Fulbert la croit répudiée et fait émasculer Abélard. Les deux époux entrent en religion, elle à Argenteuil, lui à Saint-Denis (1118). Abélard continue à enseigner la philosophie, mais surtout la science sacrée, plus adaptée à sa nouvelle vie. Il écrit une Théologie qui est condamnée par le concile de Soissons (1121). Envoyé à Saint-Médard de Soissons, puis revenu à Saint-Denis, Abélard se querelle avec ses confrères, s'enfuit en Champagne, obtient une relative liberté de mouvement. Il reprend son enseignement, en pleine campagne, auprès d'un oratoire qu'il a dédié à la Trinité, et qu'il nomme ensuite le Paraclet. Vers 1125, il est élu abbé de Saint-Gildas de Rhuys (diocèse de Vannes) ; il y passe une dizaine d'années, persécuté par ses moines qu'il veut réformer, puis il s'enfuit. En 1136 il enseigne à Paris. En 1140, sa dernière Théologie est condamnée à Sens ; il veut aller à Rome pour en appeler au pape. Malade, il est recueilli à Cluny par Pierre le Vénérable et meurt en 1142.
L'œuvre conservée d'Abélard comprend essentiellement : a) deux séries de gloses sur les classiques de la dialectique connus à l'époque (Isagoge de Porphyre ; Catégories et Interprétation d'Aristote ; divers traités de Boèce), qui datent de la première partie de sa vie ; vers 1136, sans doute, il commente encore Porphyre ; vers 1120, il compose une Dialectique ; b) un Traité sur l'unité et la Trinité divines (Tractatus de Unitate et Trinitate divina, ou Theologia Summi Boni), condamné à Soissons ; une Théologie chrétienne (Theologia christiana) ; une Introduction à la théologie (Introductio ad theologiam, ou plutôt Theologia scholarium), condamnée à Sens ; le Sic et non (dossier de textes patristiques classés par sujet avec un prologue[...]
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Écrit par
- Jean JOLIVET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
Média
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