BOULEZ PIERRE (1925-2016)
En 1945, un homme, seul, pénétrait la musique. Le choc eut lieu par contestation et non par adhésion inconditionnelle aux nouvelles idées musicales de l'époque. Il devait nourrir une inquiétude vigilante, face aux réponses – aussitôt académiques – des assoiffés de modernité turbulente. Il faisait surgir d'une réalité musicale exténuée la véritable contestation qui devait s'affirmer comme le vecteur de toute sa vie artistique.
L'analyste, le pédagogue et le théoricien
La contestation de Pierre Boulez (né le 26 mars 1925 à Montbrison, dans la Loire) se porte immédiatement sur l'enseignement qu'il reçoit : la découverte de l'école de Vienne (Arnold Schönberg, Alban Berg, Anton von Webern) n'est alors ressentie que comme un point de départ ; le cours d'analyse d'Olivier Messiaen comme une plate-forme de lancement des fusées à venir. Les premières (Le Soleil des eaux, 1946 ; Deuxième Sonate pour piano, 1948) traversaient peu après l'espace musical assez terne de l'époque. Elles apparurent à beaucoup comme des objets étranges, délivrés de la pesanteur et qui se désintégreraient immanquablement en rentrant dans l'atmosphère terrestre !
La contestation se prolongera dans l' enseignement que Pierre Boulez dispense, à son tour, à la Musik-Akademie de Bâle (1960-1963) et à l'université Harvard (1963), où il cherche avant tout à « déclencher l'inquiétude » ; il jugera ses élèves, entre autres critères, à leur degré de révolte. Alors qu'élève il avait refusé la « dévotion au père », il refuse les « fils spirituels », qu'il qualifie souvent d'« épigones ».
Cet enseignement pose les bases d'une nouvelle conception de l'analyse musicale. S'opposant à ceux qui ne s'attachaient qu'aux rapports des notes entre elles et non aux rapports des formes, il cherche les « raisons » de l'écriture plus que la facilité des inventaires. « L'analyse, a écrit Pierre Boulez, n'est productive que si l'on réagit par rapport à elle. » Et d'en conclure que l'originalité d'un élève se décèle aussi à la qualité de son investigation musicale. Dans Stravinsky demeure (1951), texte fondateur, il apparaît que l'analyse – il s'agit là du Sacre du printemps – ait participé de l'œuvre même de Boulez. Les soixante-dix pages de ce texte très important nous éclairent autant sur le personnage analysé que sur l'analyste. Une telle réflexion devient alors « ferment ».
Dans Penser la musique aujourd'hui (1963), on voit la dialectique rigoureuse qui unit la pensée théorique à l'expérience créatrice ; il s'agit toujours de « donner à penser » et non pas d'expliquer des résultats.
Mais il fallait aussi, et surtout, sensibiliser le public de concert. Conscient, dès 1954, d'une indispensable évolution dans ce domaine, Pierre Boulez fondait, à cette époque, les Concerts du domaine musical. Soucieux de révéler les résonances privilégiées que certaines musiques pouvaient avoir avec les recherches contemporaines, il fit ressortir méthodiquement les références qui devaient constituer une sorte de ligne de faîte, éclairant singulièrement les œuvres actuelles. On entendit ainsi dans le même concert : Machaut, Debussy et Webern ou Gesualdo, Stravinski et Stockhausen. Il s'agissait ainsi de détruire l'esprit de classe d'une société d'auditeurs au sein de laquelle chaque génération pense « hier » différent d'« aujourd'hui » et d'indiquer que la musique de notre époque est la suite logique d'une continuité.
La stratégie était efficace et les auditeurs, d'abord inquiets puis médusés, découvrirent un « domaine musical » dont ils avaient été écartés pendant des décennies par une politique musicale[...]
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Écrit par
- Michel FANO : compositeur
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