BOULEZ PIERRE (1925-2016)
Le chef d'orchestre
Cependant, bien que toujours parallèle à l'œuvre elle-même, une sorte de « pédagogie appliquée » succède bientôt à l'expression écrite ou universitaire de la pensée théorique. Il s'agit de la direction d'orchestre.
Amené par les circonstances, en 1957, à diriger son Visage nuptial, Pierre Boulez devait, là encore, repenser fondamentalement un métier aujourd'hui intégré à son œuvre. Ses interprétations du Sacre du printemps, de l'opéra Wozzeck, et de ses propres œuvres, Doubles et Éclat, sont des événements majeurs. Cette activité de chef est souvent venue étayer la démarche du compositeur, et inversement. D'une telle escalade sont peut-être nés Doubles et Éclat ; de même que l'analyse du Sacre (Stravinsky demeure) ne pouvait s'exprimer pleinement que par l'interprétation que nous en donne Boulez.
Devant l'orchestre, là encore, point d'enseignement traditionnel reçu ni, par la suite, dispensé, mais une démythification impitoyable au profit de l'efficacité, par une réorganisation systématique du geste. Le geste se crée en fonction du résultat sonore à obtenir. Plus de chorégraphies destinées à susciter la musique auprès du public, mais un ensemble de « signes », à l'usage exclusif des instrumentistes. Le « code », si l'on peut dire, repose sur une décentralisation du geste. Au geste global, expressif et finalement de pur pléonasme, se substitue un ensemble d'informations sur l'attaque, le mètre, la dynamique, autorisant l'instrumentiste concerné à « résonner » sous une forme et à un temps précis. Dans l'interprétation des œuvres contemporaines, une totale dissociation des bras, des mains, des doigts même (libérés de la baguette), peut ainsi communiquer des superpositions de tempos différents, la relation entre tempo libre et tempo obligé, etc. Il fallait avoir inventé cette technique pour qu'une œuvre comme Éclat devînt un véritable « jeu » entre le chef et l'orchestre et qu'ainsi le « spectacle » amenât le public à une meilleure compréhension des structures. Dans la mesure où cette compréhension est liée à la trame expressive de l'œuvre, ne constitue-t-elle pas une réponse aux problèmes posés aujourd'hui par le concert public ?
Cette réponse, il la donne avec les orchestres les plus prestigieux, parmi lesquels l'Orchestre philharmonique de New York, l'Orchestre de Cleveland, l'Orchestre symphonique de Chicago, l'Orchestre symphonique de la B.B.C., l'Orchestre symphonique de Londres, l'Orchestre philharmonique de Vienne, l'Orchestre philharmonique de Berlin. Avec ces formations, Boulez « relira » pour nous Mahler, Bruckner, l'école de Vienne, Debussy, Stravinski et même Ravel.
Sous ses mains naîtront également – en dehors des siennes propres – des œuvres parmi les plus marquantes de la musique d'aujourd'hui : ... au-delà du hasard (1960), de Jean Barraqué ; Palimpsest (2002), de George Benjamin ; Mana pour grand orchestre (2005), de Christophe Bertrand ; Serenata (1957), Concerto pour deux pianos et orchestre (1973), NovissimumTestamentum (1989), KolOd « Chemins VI » (1996), de Luciano Berio ; ...agm... (1979), Six Settings of Celan (1996), de Harrison Birtwistle ; Les Eaux étroites I et II (1992, 1998), d'Antoine Bonnet ; Penthode (1985), Concerto pour clarinette et ensemble (1996), What are Years pour soprano et ensemble (2009), d'Elliott Carter ; Star-Child (1977), de George Crumb ; Modulos I (1965), de Luis De Pablo ; Cadeau (1985) de Franco Donatoni ; GlühendeRätsel (1964), de Heinz Holliger ; Allégories d'exil IV (1980), de Jacques Lenot ; Streets (2006), de Bruno Mantovani ; Sound and Fury, pour orchestre de cent neuf musiciens (1999), de Philippe Manoury ; Sept Haïkaï[...]
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Écrit par
- Michel FANO : compositeur
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