BOULEZ PIERRE (1925-2016)
Le compositeur
Le compositeur aborde, dès ses premières œuvres, d'essentiels problèmes de forme : dialectique du « fixe » et « flou », aspect « réseau » plus que « schéma » d'une structure musicale, idée que la forme se crée à partir de déplacements. Plus précisément, que c'est par un ensemble de « déductions » que le créateur passe de l'Idée à l'œuvre. En d'autres termes, ce seront les « conséquences » du matériau qui détermineront la structure.
Par ailleurs, il faut remarquer l'attachement du compositeur à la notation, à l'écriture de la partition. Il n'y consacrera pas moins de trois leçons au Collège de France. Sa grande expérience de l'orchestre l'autorise à juger de l'efficacité de la notation, et de statuer qu'au-delà d'une certaine complexité il ne peut y avoir qu'approximation et désordre.
Cette position a sûrement déterminé la relative économie avec laquelle il use de ce prodigieux instrument qu'il a créé en 1977 et dirigé pendant quinze ans, jusqu'en 1992, l'I.R.C.A.M. (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique). Alors qu'aujourd'hui les sirènes de l'informatique musicale ensorcellent trop de compositeurs et les conduisent parfois à un automatisme stérile, on ne peut qu'admirer l'emploi qu'en fait le compositeur de Répons ; usage parfaitement contrôlé, parfaitement maîtrisé. L'I.R.C.A.M. n'en reste pas moins un prodigieux laboratoire où s'élaborent des logiciels très performants dont s'empareront avec grand talent et en dehors de tout « bricolage » des compositeurs comme Philippe Manoury ou Tristan Murail, entre autres.
Fait singulier, il apparaît difficile de classer l'œuvre de Pierre Boulez en époques ou périodes, car souvent une œuvre se trouvera modifiée, réorchestrée, repensée au cours des années. D'autres, au contraire, seront fixées définitivement dès leur création ; certaines, enfin, parcourent la vie du créateur tel un « journal ».
C'est d'ailleurs le mot qu'emploie le compositeur dans le programme du concert du 7 novembre 2006 à propos de la dernière version de Dérive 2 : « ...une sorte de journal reflétant l'évolution des idées musicales proprement dites, mais également la façon de les organiser dans une sorte de mosaïque narrative ».
Et l'on peut considérer comme de véritables « works in progress » Le Visage nuptial (1946-1951-1989), Le Soleil des eaux (1948-1958-1965), Le Marteau sans maître (1953-1957), tous trois d’après des poèmes de René Char, Improvisation III sur Mallarmé (1959-1984), Pli selon pli (1957-1962-1984-1989), Cummings ist der Dichter... (1970-1986).
D'autres œuvres restent en permanence sur l'établi et croissent au fil des années : Répons, Incises, Anthèmes et Dérive, par exemple.
Mais plus étonnant est le destin des Douze Notations, pour piano, datées de 1945 et qui deviennent le matériau initial des Notations I-IV, pour grand orchestre (1978-1984).
Toujours sans doute sur le métier les Notations V-XII, pour orchestre, pour lesquelles le catalogue indique pudiquement : 1984-... !
On pourrait cependant articuler chronologiquement cette œuvre autour de quatre faîtes essentiels : la Deuxième Sonate pour piano, la Troisième Sonate pour piano, Le Marteau sans maître, Éclat et Éclat/Multiples, Répons.
1948 : la Deuxième Sonate pour piano surgit à la manière d'un plissement géologique aussitôt fixé, et conteste violemment les sécurités sérielles ou rythmiques de l'époque. Œuvre beethovénienne, d'un grand lyrisme pianistique, dans laquelle la notion de structure musicale se trouve radicalement repensée.
Le Visage nuptial et Le Soleil des eaux, œuvres pour voix et orchestre, sont passées, elles, par plusieurs stades, soit de conception,[...]
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Écrit par
- Michel FANO : compositeur
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