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BOULLE PIERRE (1912-1994)

Avant de choisir la littérature, Pierre Boulle — né à Avignon — connaît une vie aventureuse en Malaisie, où il entame à partir de 1938 une carrière d'ingénieur dans les plantations de caoutchouc. Il y demeure jusqu'en 1947 et combat sur place contre l'armée japonaise. On le décore de la croix de guerre et de la médaille de la Résistance. Rentré en France à partir de 1948, il devient alors un écrivain à temps plein.

Les premiers romans de ce lecteur de Conrad et de Kipling utilisent le matériau de ses souvenirs, comme on le voit dans Le Sacrilège malais (1951). On retrouvera des traces du Sud-Est asiatique dans des textes ultérieurs comme Les Oreilles de jungle, écrit alors que les États-Unis sont enlisés dans la guerre du Vietnam. C'est encore un Asiatique qui est le héros du Jardin de Kanashima (1964). Cette veine romanesque, qui allie le décor de l'Asie et l'expérience de la Seconde Guerre mondiale, lui vaudra son premier grand succès : Le Pont de la rivière Kwaï (1952), qui sera porté à l'écran par David Lean. Mais c'est dans un domaine très différent, celui de la science-fiction, qu'il connaît une popularité encore plus grande grâce à l'adaptation cinématographique d'un autre de ses romans, La Planète des singes (1963), par Franklin F. Schaffner. Vers la fin de sa vie, après avoir publié une vingtaine d'ouvrages, souvent proches du fantastique, il obtient, avec La Baleine des Malouines, le grand prix de la mer en 1984.

Le Pont de la rivière Kwaï montre un Pierre Boulle fasciné par la singularité d'un comportement : comment, au nom des principes qui sont ceux de la dignité et de la parole donnée, au nom d'une sorte de fair-play entre gentlemen — et les militaires sont évidemment des gentlemen —, un officier anglais en vient à oublier la réalité du contexte de la guerre et à collaborer avec les Japonais, sans s'en rendre compte. Cette peinture exemplaire d'un cas de myopie idéologique permet de mieux saisir le piège par lequel peut s'entamer un processus de collaboration, au nom de valeurs éminemment respectables. Le roman présente un passage à la limite, où tragique et ironie se mêlent.

Pierre Boulle écrira trois recueils dans lesquels il exerce son esprit d'observation et son ton voltairien, c'est-à-dire humoristique, à des fins de spéculation philosophique : Les Contes de l'absurde, grand prix de la nouvelle en 1953 (on y savourera le récit d'une lune de miel en apesanteur), E = MC2 (1957), puis Quia absurdum. Il retrouve cette veine en 1971 avec un roman, Les Jeux de l'esprit, sorte d'extrapolation des jeux télévisés et des spectacles sportifs, qui constituent le fondement d'un modèle de société particulière située dans un futur proche.

Mais c'est avec La Planète des singes, avatar swiftien du quatrième voyage de Gulliver, que Pierre Boulle a donné la pleine mesure de son talent. Ce texte joue sur plusieurs tableaux. Il commence par subvertir les rapports habituels entre l'homme et les singes, puisque ceux-ci sont les maîtres de la planète, ce qui permet un regard critique sur le comportement humain, et plus particulièrement européen, dans ses rapports avec les peuples techniquement moins avancés. Boulle décrit des rapports humains étranges, médiatisés par la présence de l'antagonisme entre chercheurs et singes. Enfin, il laisse clairement entendre que cette planète est notre futur, après les désordres de toutes sortes consécutifs à une guerre atomique. Ce futur, le héros du livre l'atteignait après un voyage impromptu dans le temps, mais, jusqu'à la fin, il ignorait, comme le lecteur, qu'il se trouvait sur notre Terre. Un beau conte d'avertissement.

— Roger BOZZETTO

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université d'Aix-Marseille-I

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