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BOURGEADE PIERRE (1927-2009)

Écrivain inquiet du mystère humain et de l'opacité du monde, touche-à-tout polygraphe et compulsif, littérateur étranger à toute forme d'académisme, Pierre Bourgeade laisse derrière lui une cinquantaine de livres qui constituent moins une œuvre qu'un témoignage pour une pragmatique existentielle de l'écriture.

Né le 7 novembre 1927 à Morlanne (Pyrénées-Atlantiques), Pierre Bourgeade passe sa jeunesse dans le Pays basque et acquiert une formation de juriste. La guerre d'Espagne, alors qu'il est enfant, lui livre les premières images de l'effroi et de la barbarie. C'est le début d'une obsession du Mal qui, jusqu'à la fin de sa vie, lui apparaîtra comme la puissance suprême de la domination du monde. Pendant plus d'un demi-siècle, il va s'illustrer dans les genres littéraires les plus variés : romans et pièces de théâtre, poèmes et récits courts, chroniques et pamphlets journalistiques, critique d'art et photographie, etc.

Bourgeade est l'écrivain des seuils, le scrutateur des frontières invisibles et mouvantes de l'humain et de l'inhumain, de l'éthique et des abysses de la libido. Sur ces terres inconnues où il s'aventure avec passion, il use pour la narration ou l'action dramatique de registres qu'il fait varier d'un roman ou d'une pièce à l'autre. Mais dire l'obscénité radicale de l'humain, ce n'est pas céder à la complaisance maléfique. Il s'agit au contraire de faire pièce aux agents du mal, au nom de la dignité et de la justice pour dessiner l'espace de la valeur et de la morale. Ainsi, la violence historique lui inspire des textes politiques, où la mise en scène de l'horreur et de l'abjection agit comme un contrepoison du Mal. Le roman La Rose rose (1968) retrace l'histoire de la France politique de 1936 à 1945. L'ignominie de la guerre d'Algérie est rapportée à travers le vécu d'un instituteur rappelé sous les drapeaux (Les Serpents, 1983). Les Brigades rouges figurent en toile de fond de son roman Le Diable (2009). Au théâtre, Orden (1974) confie aux acteurs la tâche d'incarner le peuple espagnol souffrant. Dans la pièce Berlin, 9 novembre (2002), le dialogue de deux conducteurs de métro recompose l'histoire de l'Allemagne tandis qu'au-dessus de leurs têtes s'effondre le Mur de Berlin. À leur tour, le roman d'espionnage ou le polar reprennent le motif obsessionnel de la violence meurtrière (Une ville grise, 1978 ; Le football, c'est la guerre poursuivie par d'autres moyens, 1981 ; L'Empire des livres, 1989).

Cet engagement radical contre la violence totalitaire et ses avatars ne se distingue guère, paradoxalement, de l'exploration de soi et de la passion érotique suivie dans ses ramifications complexes, comme dans cette ultime confession qu'est Éloge des fétichistes (2009). Le roman New York party (1969), les entretiens de Bonsoir, Man Ray (1990) ou l'étude sur Le Mystère Molinier, la pièce Les Immortelles (1970), les textes poétiques d'Ultimum moriens (1984), l'entretien de l'auteur avec Michaël Lonsdale au sujet des nus érotiques d'Irina Ionesco (Passions, 1984), les six courts récits d'Éros mécanique (1995), tout concourt ici à faire vibrer un monde du désir traversé par la fantasmagorie fétichiste. Les grands inspirateurs sont aussi bien Sade (Sade, Sainte-Thérèse, 1987), que Bataille ou Breton. Il passe encore quelque chose de cet érotisme dans l'attirance pour un Paris mystérieux (La Fin du monde, 1984 ; L'Autre face, 2000) ou un Berlin fantasmatique (L'Armoire, 1977).

Les questions plus théoriques afférant à la littérature ou aux jeux de langage ne retiennent pas moins Pierre Bourgeade. Il s'interroge sur quelques-uns des plus grands écrivains contemporains dans[...]

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