LOUIS PIERRE CHARLES A. (1787-1872)
Le médecin français Pierre Charles Alexandre Louis est un des précurseurs de l’épidémiologie clinique moderne, connu notamment pour avoir introduit une approche quantitative et numérique en médecine.
Il naît à Ay, en Champagne, le 14 juillet 1787. Sa carrière médicale est variée : il étudie la médecine à Reims jusqu’en 1813 et reçoit le titre de docteur en médecine à Paris la même année. On le trouve à Saint-Pétersbourg en 1814 où il valide son diplôme médical, puis jusqu’en 1820 à Odessa où il commence à exercer. De retour à Paris, il travaille à l’hôpital de la Pitié et à l’Hôtel-Dieu. À partir de 1823, il voyage et exerce à Gibraltar (il y étudie la fièvre jaune) et à Bruxelles (il rédige son traité sur la typhoïde), accumule les observations et écrit. De retour à Paris en 1830, il y devient un professeur de clinique médicale renommé. Lorsque, en 1854, son fils meurt de la tuberculose, il quitte définitivement la pratique médicale. Il mourra à Paris le 22 août 1872.
L’œuvre de Pierre Charles Alexandre Louis est publiée entre 1825 et 1844. Selon la recension qu’en fait Alfredo Morabia, elle comprend une quarantaine de textes d’observations et commentaires sur la saignée, la typhoïde, la tuberculose, la fièvre jaune, la gastro-entérite et l’enseignement de la médecine. Il écrit sur la nécessité des pratiques quantitatives en clinique et thérapeutique. La plupart de ses articles sont traduits en anglais, parfois en allemand, et largement débattus dans les journaux médicaux. Ils apportent en effet un langage nouveau pour la médecine. Louis propose une approche qui relève de ce qu’on appelle aujourd’hui l’evidence-basedmedicine, la « médecine fondée sur les faits ».
La réfutation de la pratique de la saignée contre toutes fièvres, préconisée par Broussais, est exemplaire de sa pensée. Au début du xixe siècle, la fièvre n’est en général pas associée à une maladie précise. Pour Broussais, toute fièvre est la manifestation de l’inflammation d’un organe. Le remède est donc invariablement de saigner, en général avec des sangsues – en 1830, la France importe au moins 40 millions de ces invertébrés. En considérant des groupes de patients atteints de pneumonie avec exactement les mêmes signes et en bonne santé avant le déclenchement de la maladie, Louis, par une série d’études sur des groupes de plusieurs dizaines de patients, montre que la saignée n’a pas d’effet sur l’évolution de la maladie, sauf dans de très rares cas d’atteinte inflammatoire d’un organe. L’usage à l’époque est de considérer l’effet des traitements sur les malades cas par cas et les biais méthodologiques et subjectifs sont énormes. Louis introduit deux nouveautés radicales. La première est la comparaison des effets d’une unique variable thérapeutique sur des groupes composés d’individus les plus semblables possible, en tenant compte de l’âge, du sexe, du régime alimentaire, etc. Ces groupes sont de plus constitués au hasard, sans discrimination de choix autant que possible. La seconde est de ne considérer les résultats qu’au niveau de groupes et non plus des individus isolément. Lorsque le groupe est de taille suffisante, cette pratique gomme les différences individuelles.
Cette approche statistique de la médecine est une nouveauté totale dans la France de la première moitié du xixe siècle et n’est d’ailleurs pas très bien accueillie, alors qu’au contraire les travaux de Louis sont traduits et admirés dans le monde anglo-saxon, en particulier aux États-Unis. La démarche de Louis repose sur des critères qui sont toujours ceux de l’épidémiologie clinique actuelle. On ignore comment il a pu aboutir à cette approche. Certes, des médecins britanniques employaient déjà le dénombrement dans leurs analyses, mais pas encore la constitution de groupes ni l’analyse populationnelle. Certains[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
Classification