RONSARD PIERRE DE (1524-1585)
Les mots du bonheur
Ce que Malherbe et les hommes de sa génération ne parviendront jamais à comprendre, c'est que la poésie puisse être avant tout un message de joie. L'étude des lettres, avait écrit Ronsard en homme de la Renaissance, dans sa préface de 1550, est « l'heureuse félicité de la vie, sans laquelle on doit désespérer de pouvoir jamais atteindre au comble du parfait contentement ». C'est au poète qu'il revient de susciter un état de bonheur par les mots. Par les mots, et pas nécessairement par l'évocation du plaisir. La mélancolie amoureuse, la frustration, la hantise de la mort, des forces invisibles et du destin occupent une place beaucoup plus grande, dans les Œuvres complètes, que les galanteries. Les Amours eux-mêmes rendent un son plus riche dès qu'on renonce à y voir une autobiographie anecdotique et, d'ailleurs, bien trompeuse, car comment faire le départ entre l'anecdote, les stéréotypes italiens, la stylisation poétique, les trouvailles du langage ? Les larmes versées sur la mort de Marie sont-elles véritables ou sont-elles des larmes d'emprunt versées pour le compte du roi à l'occasion de la mort de Marie de Clèves ? Y a-t-il même dans l'idylle avec Marie autre chose qu'un vieux thème de la littérature courtoise médiévale : la jeune paysanne courtisée par un seigneur ? On ne le saura sans doute jamais, et peu importe, car l'émotion ne cesse d'être un état passif que dans la mesure où la médiation du langage l'élève à un timbre de sensibilité sans commune mesure avec ses origines.
Il serait aussi vain de chercher dans les Amours un art d'aimer ou une inspiration érotique, car non seulement les codes ont changé, mais nous ne sommes pas même en mesure d'établir un système de relations précis entre celui que Ronsard nous présente et ceux qui avaient cours dans la vie réelle de ses contemporains. Ce qu'il nous offre n'est pas une copie du quotidien, mais un univers reconstruit. Avec des éléments empruntés aux thèmes de la tradition courtoise et à la vie d'un gentilhomme français du xvie siècle, il a su reconstituer par le langage un univers du bonheur, comme Fra Angelico et Van Eyck avaient peint le Paradis avec des champs en fleurs, des fontaines et des bosquets. Pour ceux qui savent lire, la magie opère toujours. « Ce matin à une heure et demie, écrivait Flaubert à Louise Colet, trois cents ans après la publication des Odes (1550 et 1552), je lisais tout haut une pièce qui me faisait presque mal nerveusement, tant elle me faisait plaisir. C'était comme si on m'eût chatouillé la plante des pieds ; nous sommes bons à voir, nous écumons et nous méprisons tout ce qui ne lit pas Ronsard sur la terre. »
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Écrit par
- Gilbert GADOFFRE : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen
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