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DREYFUS PIERRE (1907-1994)

“Industriel d'État”, tel est sans doute le titre qui résume le mieux le long parcours de Pierre Dreyfus, qui aura passé sa vie au confluent de la politique et de l'industrie. Par tradition familiale, il a été frotté à l'une et à l'autre dès le berceau. La génération précédente avait abandonné, au moins partiellement, Mulhouse, où elle jouait un rôle non négligeable dans le secteur des textiles, pour Paris, à la suite de la défaite de 1870 et du rattachement de l'Alsace à l'Empire allemand. Quand il naît en 1907, l'affaire Dreyfus — du nom d'un parent de la famille injustement condamné au bagne pour trahison et qui n'a pas encore été complètement réhabilité — divise toujours aussi sûrement la France. La gauche est dreyfusarde, la droite antidreyfusarde. Quoi d'étonnant, dès lors, si, toute sa vie, Pierre Dreyfus a marqué sa fidélité à son camp et du même coup une sensibilité à la question sociale, peu fréquente chez les grands patrons du secteur public.

Les hasards de la vie vont très vite renforcer le poids de l'héritage familial ; à dix-huit ans, le jeune Pierre, obligé de gagner sa vie, se trouve plongé dans le milieu le plus mercantile qui soit, le négoce des matières premières. La spéculation et le boursicotage lui apparaissent comme un gaspillage de richesses et le renforcent dans ce qui sera la conviction de toute une vie : l'État doit intervenir directement dans la production et la répartition des richesses. Sa formation de juriste, acquise parallèlement en vue de préparer le concours d'entrée au Conseil d'État — un des rares échecs de sa carrière —, permet à Pierre Dreyfus de maîtriser un des concepts clés de la haute institution du Palais-Royal, la mission de service public, qui servira à justifier les nationalisations de 1936, de 1945 et de 1981.

Conseiller technique au cabinet du premier ministre socialiste des Finances, en 1936, il n'est paradoxalement pas à sa vraie place. La nouveauté se trouve ailleurs, au ministère de l'Économie nationale, créé de toutes pièces pour l'occasion et où se retrouvent les partisans de l'économie dirigée par l'État, une petite équipe de militants, de polytechniciens et d'idéologues aux yeux de qui la Grande Crise de 1929, avec son chômage massif, a définitivement condamné l'économie libérale.

Ce qui n'était pas possible en 1936 le devient à partir de 1944, avec la Libération. Haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie, Pierre Dreyfus est à même de participer à la création du plus grand secteur industriel public d'Europe occidentale, opérée par nationalisation (charbon, électricité, gaz, Renault, etc.) ou par l'établissement d'entreprises publiques nouvelles (pétrole, nucléaire). Directeur de cabinet de Robert Lacoste, un socialiste de gouvernement qui détient le record de longévité de la IVe République à la tête du ministère de l'Industrie, il acquiert une irremplaçable expérience de la gestion par l'État de la grande industrie. Nominations, autorisations, financements privilégiés par le Budget d'investissements massifs, aides et interventions de toute sorte sont les ingrédients d'une politique industrielle ambitieuse. Ses promoteurs se recrutent parmi les meilleurs d'une génération humiliée par la défaite de 1940 et qui entend arracher la France à la malédiction de la décadence. Le socialiste Dreyfus y côtoie le gaulliste Pierre Guillaumat, futur créateur du groupe pétrolier Elf, ou le communiste Frédéric Joliot-Curie, fondateur du Commissariat à l'énergie atomique.

Spécialiste de l'énergie, et en particulier du charbon, Pierre Dreyfus sera pourtant désigné en 1955 pour succéder, à la tête de Renault, à un autre résistant, Pierre Lefaucheux, mort accidentellement. Le deuxième patron de[...]

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