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DRIEU LA ROCHELLE PIERRE (1893-1945)

Drieu et la politique

Raté sexuel, Drieu, s'en étonnera-t-on ? a cherché dans la politique l'ordinaire consolation des mous. Incapable de s'attacher virilement une femme, il se donna fémininement à un parti, le parti qui lui paraissait le plus fort, le plus mâle. C'est après le 6 février 1934 qu'il passa définitivement au fascisme, après avoir hésité longtemps entre le fascisme et le communisme. Le fascisme, il le pratiqua comme un sport, comme un alcool, comme une sorte de remède magique à ses propres contradictions. Il ne souhaita le triomphe de l'homme totalitaire que parce qu'il se sentait lui-même mortellement divisé. Après la défaite de 1940, il se rallia, comme on sait, à la collaboration franco-allemande, mais ce qu'on sait moins, c'est la déception, le dégoût que lui inspirèrent bientôt Hitler, la politique pétainiste, son propre rôle. Directeur de la Nouvelle Revue française sous l'Occupation, il usa de son crédit pour sauver de la mort plusieurs résistants de ses amis. Trop lucide pour ne pas voir la catastrophe vers laquelle il courait, mais dédaignant par élégance de virer de bord quand il eût été encore temps, épris désormais de son seul désastre, il s'empoisonna, au lendemain de la Libération, moins pour échapper à la honte d'un procès que parce que, depuis toujours, le suicide était la seule manière de coïncider avec lui-même.

Décevant et fascinant, fascinant malgré lui et décevant par sa faute, ployant comme une tige trop frêle sous l'abondance même de ses dons, Drieu laisse des livres qui ne sont qu'à moitié réussis. Son chef-d'œuvre, avec La Comédie de Charleroi, est sans doute L'Intermède romain, longue nouvelle (publiée à titre posthume dans les Histoires déplaisantes, 1964) qui tient des mémoires, de l'essai et de la fiction, et place Drieu dans la lignée de Constant, de Baudelaire, des anxieux sauvés par l'analyse, beaucoup plus que dans celle des « chefs », Nietzsche ou Malraux. Indolent, relâché, comme dédaigneux de se parfaire, le style n'en est pas moins d'un grand écrivain. C'est dans cette nouvelle, récit d'une liaison où il se donne, bien entendu, le vilain rôle, qu'il se définit, pour marquer sa froideur, son dandysme en amour, non pas « cœur de pierre » mais « cœur de lièvre ». Un beau lièvre, qui aura vécu et qui sera mort pour rien, sinon pour la volupté de se surprendre en mal, de s'humilier. On réédite ses livres et on continue de publier ses ouvrages posthumes : nul doute que le personnage et son œuvre n'attirent sans cesse de nouveaux fidèles, séduits par le mystère d'un homme qui s'est si mal aimé.

— Dominique FERNANDEZ

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'italien, docteur ès lettres

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