DUHEM PIERRE (1861-1916)
Des trois volets de l'œuvre de Pierre Duhem, accomplie relativement en marge du milieu scientifique français de son époque, chacun aurait pu suffire à assurer sa renommée.
Pionnier de la chimie physique et promoteur d'une thermodynamique générale qui réunirait les sciences physiques et chimiques, il se prononçait pour une physique théorique abstraite où les changements d'états ne soient pas ramenés au mouvement local. Ses conceptions de la théorie physique comme un système abstrait, construit par convention, dans lequel aucune des propositions n'est isolable au moment de la confrontation avec l'expérience, conceptions qui rejettent la notion d'experimentum crucis et l'induction, placent sa philosophie des sciences au cœur des considérations contemporaines. Son œuvre en histoire des sciences, illustrant ses conceptions des théories physiques et de leur évolution continue, constitue une contribution considérable à l'histoire des sciences au Moyen Âge.
La vie
Pierre Duhem naquit le 10 juin 1861 à Paris. Son père, originaire de Roubaix, était commerçant, et sa mère appartenait à une famille de la bourgeoisie languedocienne ; très croyante, elle communiqua à son fils une profonde ferveur religieuse. Pierre Duhem fut éduqué dans le goût des humanités classiques – sa familiarité avec le latin et le grec lui fut plus tard utile dans l'étude des textes médiévaux ; un de ses maîtres au collège Stanislas, Jules Moutier, l'aida à s'orienter vers les sciences. Reçu premier au concours d'entrée à l'École normale supérieure en 1882, il y fut un élève brillant, mais à la santé fragile et au caractère ombrageux et entier.
Avant même de terminer sa licence, il avait présenté des résultats de recherches originaux et terminé, dès 1884, une thèse sur le potentiel thermodynamique ; elle fut refusée par le jury, sous l'influence de Berthelot, dont le principe du travail maximum y était vivement attaqué. Il la publia peu après et prépara une autre thèse, présentée en mathématiques, sur la théorie du magnétisme, qu'il soutint en 1888. Nommé en 1887 maître de conférences à l'université de Lille, il s'y révéla un enseignant hors pair et un chercheur infatigable, produisant de nombreux articles et plusieurs ouvrages. Il épousa en 1890 Adèle Chayet, dont il eut une fille, l'année suivante. Son épouse mourut en secondes couches en 1892. Il ne se remaria pas et consacra désormais sa vie à l'éducation de sa fille et à son œuvre scientifique.
Duhem dut quitter Lille sur sa demande, en 1893, à la suite d'une grave altercation avec le doyen de la faculté ; il séjourna une année à l'université de Rennes, puis fut nommé en 1894 à l'université de Bordeaux, où il obtint l'année suivante la chaire de physique théorique. Il demeura dans cette ville jusqu'à sa mort, qui survint le 14 septembre 1916, à Cabrespine, près de Carcassonne, dans la maison familiale où il se trouvait en vacances. Souffrant d'angine de poitrine, il fut terrassé par une attaque cardiaque. Il avait cinquante-cinq ans.
Pierre Duhem laissait derrière lui une œuvre considérable dans les trois domaines de la physique-chimie, de la philosophie et de l'histoire des sciences, au fil de près de quatre cents articles et de vingt-deux ouvrages répartis en quarante-cinq volumes. Dans chacune de ces disciplines, ses contributions furent de premier plan. Son œuvre en physique et en chimie fut cependant davantage appréciée à l'étranger qu'en France, où il s'était fait de nombreux adversaires et où sa carrière fut bloquée. Son caractère intransigeant, son tempérament rigide, ses convictions politiques et religieuses qui allaient à contre-courant de celles qui prévalaient alors dans l'université française – il était catholique conservateur, monarchiste, antidreyfusard, et s'affirma antisémite[...]
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Écrit par
- Michel PATY : directeur de recherche émérite au CNRS
Classification
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