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DUHEM PIERRE (1861-1916)

L'œuvre scientifique

Très tôt orienté vers les travaux de Gibbs et de Helmholtz, Duhem proposa, dès ses premières contributions, d'utiliser la notion de potentiel thermodynamique (interne), notion reprise des fonctions caractéristiques des fluides de François Massieu et des énergies libres de Gibbs et de Helmholtz ; il put ainsi, en faisant appel à la méthode des travaux virtuels, traiter de nombreux problèmes de physique et de chimie, portant notamment sur l'équilibre des phases liquides et gazeuses, les dissociations, les propriétés des solutions. Son ouvrage Le Potentiel thermodynamique (1886) – la thèse refusée – contient en particulier l'équation de Gibbs-Duhem sur les solutions. Duhem poursuivit ses recherches dans cette direction, proposant d'autres applications variées du potentiel thermodynamique à la statique et à la dynamique chimique ; ces travaux font de lui l'un des fondateurs de la chimie physique moderne avec les Van't Hoff, Ostwald, Arrhenius, Le Châtelier. Ce faisant, au lieu de se proposer, comme beaucoup de ses contemporains, en France notamment, de réduire les phénomènes chimiques à la mécanique, il les rapportait à la thermodynamique.

Parmi ses autres contributions importantes, il convient de mentionner la preuve qu'il donna, en 1898, de la règle des phases de Gibbs, dont il proposa en outre l'extension. Toujours en thermodynamique, Duhem élabora, en 1896, une théorie des faux équilibres ; il distinguait ceux qui sont apparents – par exemple, une petite perturbation dans une solution saturée – et ceux qui sont réels – il s'agit dans ce cas des équilibres métastables, qu'il étudia en détail. Par ses conceptions et ses contributions en thermodynamique, Duhem apparaît comme un des principaux pionniers de l'étude de la thermodynamique des processus irréversibles, qui a connu d'importants développements au cours des dernières décennies. Curieusement, jusqu'à sa reconnaissance relativement récente, son œuvre en thermodynamique fut davantage appréciée des mathématiciens que des physiciens et des chimistes – en France du moins.

Le projet de Duhem était de fonder sur une énergétique ou thermodynamique générale l'ensemble de la physique et de la chimie, en harmonie avec les conceptions énergétistes de Rankine, Helmholtz, Mach et d'autres, et en opposition au projet de réduction mécaniste des atomistes comme Boltzmann. Il s'attacha à poser les fondements logiques et axiomatiques de cette science. Le deuxième principe ne lui paraissait pas réductible à la mécanique – à quoi l'on rapportait généralement le premier, celui de la conservation de l'énergie, issu du principe de l'équivalence de la chaleur et du mouvement ; pour établir les deux principes sur un pied d'égalité, il fallait les traiter comme des postulats, et « la thermodynamique se développe alors selon un type de théorie nouveau en physique ». On perçoit déjà ici le lien entre ses recherches scientifiques et sa conception de la théorie physique. Duhem voyait dans sa tentative d'unifier les sciences physiques et chimiques au sein d'une thermodynamique généralisée sa principale contribution scientifique. Il est à noter que les mots « atome » et « molécule » sont totalement absents, conformément à son rejet de ces notions, de son Traité d'énergétique de 1911 qui propose l'accomplissement de ce programme. Mais il échoua à y ramener l'électromagnétisme. Critiquant vivement la théorie de Maxwell pour sa méthode et ses modèles, qui lui paraissaient entachés de contradictions internes (Les Théories électriques de J. Clerk Maxwell, 1902), il contribua pour sa part à développer la théorie électromagnétique de Helmholtz, plus complexe, et qui rendait également compte des expériences de Hertz ; il considérait[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS

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