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DUHEM PIERRE (1861-1916)

Le philosophe des sciences

Tout en poursuivant ses travaux en physique, Pierre Duhem s'est de plus en plus préoccupé de philosophie et d'histoire des sciences, surtout à partir de 1893 pour la première discipline et de 1904 pour la seconde.

La Théorie physique rassemble dans un ouvrage riche et original, dont l'importance a également été récemment découverte – notamment dans le monde anglo-saxon –, les conceptions de Duhem en philosophie des sciences, qui sont directement reliées à ses conceptions et à sa pratique scientifiques, et très marquées évidemment par ses convictions personnelles.

L'objet de la théorie physique, pour Duhem, est d'établir « un système abstrait qui a pour but de résumer et de classer logiquement un ensemble de lois expérimentales, sans prétendre expliquer ces lois ». La question de la réalité matérielle, distincte des apparences sensibles, est de nature métaphysique et échappe à la physique. Physique et métaphysique sont indépendantes, et Duhem était autant soucieux d'affirmer l'autonomie de la physique que de préserver la métaphysique, et il souhaitait par ailleurs réhabiliter celle d'Aristote et de Thomas d'Aquin : c'est pourquoi on a pu qualifier sa philosophie de « positivisme catholique » (voir en particulier « Physique de croyant », 1905, in La Théorie physique, 2e éd.). Les théories physiques sont évolutives, et leur but est de parvenir, quand elles se rapprochent de l'état de perfection, à une classification naturelle. Par là, Duhem diffère du positivisme – au sens courant – ou du pur conventionnalisme : « plus [la théorie] se perfectionne, plus nous pressentons que l'ordre logique dans lequel elle range les lois expérimentales est le reflet d'un ordre ontologique ». Mais la théorie, simple représentation, exclut toute explication, et les parties explicatives des théories physiques – par exemple les modèles mécaniques ou imagés – ne sont que de simples parasites, qui ne cessent de faire obstacle au progrès théorique.

Les conceptions du Duhem sur la structure de la théorie physique, étayées sur ses analyses et sa propre pratique, sont particulièrement intéressantes. Tout d'abord, il constate qu'« une expérience de physique n'est pas seulement l'observation d'un phénomène ; elle est en outre l'interprétation théorique de ce phénomène ». Il énonce ensuite cette thèse – reprise ultérieurement par Quine – qu'« une expérience de physique ne peut jamais condamner une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble théorique ». Il n'y a donc pas d'expérience cruciale, ni les faits ni les hypothèses n'étant isolés, et l'on ne compare que des systèmes entiers, celui des représentations théoriques et celui des données d'observation. Considérant qu'entre les faits d'expérience et le raisonnement mathématique la médiation d'une transcription symbolique est nécessaire, et que par ailleurs une loi numérique n'est jamais qu'approchée, il constate qu'« une infinité de faits théoriques différents peuvent être pris pour la traduction d'un même fait pratique », ce qui condamne l'induction : « les vérifications expérimentales ne sont pas la base de la théorie, elles en sont le couronnement ». Il précise, dans « La Valeur de la théorie physique » (1908, in La Théorie physique, 2e éd.), que seuls sont vrais ou faux les énoncés de faits d'expérience, et non les théories elles-mêmes et leurs propositions, qui sont prises par convention et pour leur caractère de commodité. C'est encore par une convention que nous choisirons, dans l'ensemble des propositions théoriques en défaut, celles que nous rejetterons : en fait, c'est le bons sens qui est juge des hypothèses[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS

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