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PIERRE ET JEAN, Guy de Maupassant Fiche de lecture

Pour un réalisme mythique

Comme souvent chez Maupassant, le récit obéit, on le voit, à la stricte linéarité d'un enchaînement tragique implacable. Implacable aussi pour le lecteur, qui peut croire jusqu'au bout ou presque au délire jaloux de Pierre, et que vient surprendre et désespérer, en un sens, l'absence de rebondissement : comme le paranoïaque finalement toujours victime de la persécution qu'il fantasme, le jeune médecin (qui ne manque pas d'étudier en clinicien l'évolution de sa propre pathologie, alternant, à propos de son cas, entre clairvoyance et aveuglement), mû par sa jalousie maladive, en vient à imaginer une trahison... qui se révélera avoir bien eu lieu. Rien n'échappe ainsi au pessimisme radical de Maupassant : car la folie de l'enquêteur n'exclut pas la réalité du crime, et réciproquement. Quant à la « morale » de l'histoire, elle s'accomplit avec l'éviction du fils légitime au profit du bâtard, comme une ultime démystification de la famille bourgeoise.

Trahison et adultère, fils illégitime, transmission du bien, rivalité entre frères, hantise du double, quête de l'identité... Bien qu'ancré dans la réalité sociale de son temps, Pierre et Jean aborde des thèmes archétypaux qui renvoient aux mythes et aux tragédies antiques ou bibliques (on songe, entre autres, à l'enquête d'Œdipe, à la vengeance d'Oreste, à la rivalité d'Abel et de Caïn...). Et il le fait sur le double mode d'un récit à la fois subjectif – le point de vue adopté étant, presque d'un bout à l'autre du roman, celui de Pierre, dont nous suivons les pensées – et objectif – la psychologie classique laissant ici la place à une auto-analyse quasi scientifique d'une lucidité effrayante. En somme, si, comme dans nombre de récits fondateurs, la révélation du « secret de famille » est bien l'objet de cette quête morbide et masochiste, la vérité ne se laisse jamais vraiment circonscrire. Elle reste toujours indiscernable du fantasme, enveloppante et insaisissable comme une « brume » – le dernier mot du livre.

Ajouté à la demande de l'éditeur qui jugeait le volume un peu trop maigre, le texte intitulé « Le Roman » qui précède Pierre et Jean s'inscrit dans le mouvement des critiques du naturalisme entreprises par Flaubert, en réaction aux théories radicales de Zola. Maupassant y réclame un réalisme « visionnaire », « illusionniste » (« les Réalistes devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes »). « Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner une vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. » Quant au plaidoyer pour une réconciliation du roman d'analyse et du roman objectif, il trouve sa réalisation dans le récit qui suit, où Maupassant, on l'a vu, conjugue les deux approches.

— Guy BELZANE

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Maupassant - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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