FÉDIDA PIERRE (1934-2002)
Une œuvre aux multiples facettes
L'œuvre scientifique de Pierre Fédida est considérable et d'une rare fécondité. D'abondants ouvrages et publications la composent, consacrés à des thèmes aussi complexes et divers que le corps, l'hypocondrie de la pensée, la mémoire et le négatif de l'empreinte, l'écriture et le travail du rêve comme sépultures, la capacité hallucinatoire de l'écoute analytique, le site de l'étranger où se dévoile l'absence, la dépression en tant que maladie du vivant humain, mais aussi le rapport au langage, promu seul et véritable interlocuteur de l'œuvre psychanalytique.
Dès le début des années 1970 et tout particulièrement dans la Nouvelle revue de psychanalyse, Pierre Fédida définit la psychanalyse comme « une archéologie du corps ». C'est à cette condition qu'elle peut s'élever à la dignité d'une science des phénomènes d'amour et de haine dont le corps serait le noyau onirique. À distance des idéologies psychologisantes, Pierre Fédida conceptualise les processus de la séance de psychanalyse à partir du corps, corps d'enfance, corps imaginaire du désir que le savoir médical oublie pour pouvoir l'archiver comme encyclopédie scientifique et technique.
C'est d'abord et avant tout par l'hypocondrie que Pierre Fédida conjugue le corps et la plainte dépressive : « parole ressassante pour un corps devenu insomniaque ». Les paroles de l'hypocondriaque comme celles de l'endeuillé déploient une dépression originaire au travers du kaléidoscope archaïque de l'anatomie imaginaire et primitive de l'enfance. Non sans révéler « le pouvoir de vérité de l'hypocondrie dans la psychanalyse » actualisant l'allégeance du fait psychique au corporel. Tout autant que « la mélancolie de l'anatomiste » faisant l'expérience de la désillusion de la dissection : le corps ne cache rien qui ne puisse être rendu visible par l'inventaire des organes et leur nomination.
Ces thèmes qui se dessinent dès les premiers textes parus dans la Nouvelle revue de psychanalyse (1970, 1971, etc.) vont jalonner toute l'œuvre de Pierre Fédida, et en particulier Corps du vide et espace de séance (1977), L'Absence (1978) ou encore Par où commence le corps humain (2000). Ce corps ne se réfracte en psychanalyse que dans les traces d'une mémoire inconsciente dont le lieu de résidence autant que de déplacement se trouve dans les mots, leur combinaison, leur démembrement et leur anasémie. Un lien intime unit en permanence les travaux de Pierre Fédida sur la dépression, le deuil, la relique et ceux sur le travail des mots comme sur celui du transfert.
Le transfert, comme les mots, les traces de l'écriture donnent « droit à une visibilité du caché », exigence semblable à celle de la relique qui « en dépit d'un savoir sur la séparation [nous fait] croire que quelque chose subsiste. » Les rapports entre le sensible et l'intelligible, la matérialité du reste et l'absence, entre le matériel et le matériau, vont le conduire à faire du rêve comme de l'écriture les lieux de l'« œuvre de sépulture ». Ces problématiques recomposent une conception du cadre analytique et psychothérapeutique, de ses techniques et permettent d'élaborer une clinique psychopathologique des cas réputés difficiles (personnalités limites, pathologies narcissiques, dépressions, etc.).
Soucieux de toujours mieux comprendre les modalités de la communication dans le travail psychanalytique et psychothérapeutique, Pierre Fédida en déplace le centre de gravité, le chiffre méthodologique vers l'intersubjectivité, héritage de son premier contact avec la phénoménologie. C'est dans ce cadre-là que s'élaborent et se précisent ses œuvres majeures que sont Crise et contre-transfert[...]
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Écrit par
- Roland GORI : professeur de psychopathologie à l'université de Provence (Aix-Marseille-I), psychanalyste, directeur du Laboratoire de recherches en psychopathologie clinique
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