FRANCASTEL PIERRE (1900-1970)
Les travaux de Pierre Francastel couvrent la totalité de l'histoire de l'art occidental, de l'architecture médiévale à l'école de Paris des années 1940, à laquelle il consacre un ouvrage portant ce titre dès 1946. L'extension de sa recherche fournit d'emblée une double clef pour l'intelligence de son œuvre. En premier lieu, lorsqu'il prend en considération les œuvres les plus actuelles, Francastel postule que l'approche scientifique de la production artistique n'est possible qu'en prenant sur l'histoire de l'art le point de vue de l'actualité ; plus précisément, il considère que la pratique artistique actuelle, dans sa radicale nouveauté, ouvre à la pensée d'une histoire de l'art discontinue, scandée par l'irruption historique de systèmes formels spécifiques, comme le furent le système médiéval, le système renaissant, puis le système contemporain. En raison de ce même intérêt pour l'actualité, Francastel tente, d'autre part et dans tous les cas, qu'il s'agisse du présent ou du passé, de rejoindre l'artiste sur le terrain historique de ses expériences ; il définit ainsi la fonction sociale des œuvres qui institue dans l'histoire un certain type de relations entre producteurs et usagers de l'art. En bref, Francastel entend toujours étudier l'art comme fait social. En 1948, il est élu à l'École pratique des hautes études (Paris) dans une chaire de sociologie de l'art. Ses œuvres principales seront liées à son enseignement : Peinture et société (1951) ; Art et technique (1956) ; La Réalité figurative (1965) ; La Figure et le lieu (1967).
Chacun de ces livres procède donc par comparaison entre des systèmes artistiques différents. C'est qu'on ne peut manquer de reconnaître que les œuvres de l'art actuel engagent l'esprit dans des conduites intellectuelles et dans des valorisations affectives qui sont en rupture avec le système mental et le jeu des valeurs qui caractérisent l'art européen avant l'impressionnisme. Si l'art est une fonction stable des sociétés, du moins à l'échelle de l'histoire, cette fonction est relativement mobile selon les civilisations. La peinture n'a pas nécessairement pour rôle la représentation ou le redoublement illusoire de la réalité perçue. L'architecture ne change pas ses formes pour un plaisir qui serait purement esthétique, au sens où ces changements ne concerneraient pas le concret de la vie. Il faut alors reconnaître que les différents arts plastiques, peinture, sculpture, architecture, ont pour fonction d'élaborer conjointement, dans leurs registres variés et à chaque moment de l'histoire, ce que Francastel nomme donc des « systèmes figuratifs ». Ceux-ci définissent, dans une quête toujours reprise dans le champ de l'imaginaire, l'organisation de l'espace social. Les changements, ruptures et mutations qu'on observe dans l'étude diachronique des systèmes artistiques permettent de toucher du doigt le rôle actif que tient l'art dans le devenir des sociétés.
On comprend ainsi l'originalité du projet scientifique que Francastel définit comme celui d'une « sociologie historique comparative ». Il s'agit, très exactement, qu'on cesse de considérer l'art comme le luxe des sociétés avancées ou comme un ensemble de « curiosités », exotiques ou non. L'art n'est pas un objet de jouissance, de délectation esthétique pour les hommes de goût. C'est une formation sociale qui engage à la fois la pensée et l'action humaine. C'est un mode de communication et de transformation du monde, irréductible à tout autre.
C'est pourquoi une sociologie des formes et des objets esthétiques est possible. La sociologie de la culture étudie les conditions[...]
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Écrit par
- Marc LE BOT : professeur à l'université de Paris-I
Classification
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