GEMAYEL PIERRE (1905-1984)
Petits notables maronites de la prospère bourgade de Bikfaya (Metn) au cœur du Mont-Liban, les Gemayel portent le titre de cheikh. Ils affichent leur hostilité à l'égard de la puissance ottomane et leur francophilie, au point d'être contraints d'émigrer en Égypte durant la Première Guerre mondiale. À son retour à Beyrouth, Pierre, né le 1er novembre 1905, poursuit ses études secondaires chez les jésuites avant d'obtenir un diplôme de pharmacien délivré par la faculté française de médecine de la ville. Le jeune provincial « descend » au cœur de la capitale et gère une pharmacie située dans le centre commercial effervescent qu'est la place des Canons. Émigration en ville, éducation universitaire, acquisition d'un capital non agraire : ces trois éléments caractérisent les nouvelles élites maronites désireuses de jouer un rôle politique dans leur pays qui va accéder à l'indépendance, conscientes qu'elles sont d'appartenir à la première communauté libanaise sur le plan démographique (28,8 p. 100 de la population au recensement de 1932) et économique. Ce sont elles qui vont s'employer à remplacer l'ordre familial par un ordre moderne, bureaucratique et communautaire.
Comme celle d'autres responsables issus eux aussi de la montagne maronite, la trajectoire sociale de Pierre Gemayel nourrit une pensée politique qui se développe suivant des lignes simples. Adepte d'une vie saine et du sport — il est passionné de football —, le jeune homme assiste aux jeux Olympiques de Berlin dans l'été 1936. Il s'enthousiasme pour l'ordre et la discipline des Jeunesses allemandes et des scouts de Tchécoslovaquie. Mais celui qu'un de ses fidèles, Karim Pakradouni, qualifiera plus tard de « vieil enfant de chœur », est surtout un conservateur foncièrement attaché aux valeurs traditionnelles. Grand et maigre, les yeux très noirs dans un visage émacié, il va susciter dans les années trente une école de pensée fondée sur les valeurs de discipline et de fraternité sur la base du slogan « Dieu, famille et patrie ».
Quelle patrie ? La question est encore à l'ordre du jour dans la dernière décennie du mandat français que Pierre Gemayel rejette vigoureusement, si bien qu'il est arrêté pour sa participation à une manifestation indépendantiste en 1936. Mais il repousse également la formule panarabe et l'unité syrienne, insiste sur l'identité spécifique de son pays, revendique ses origines méditerranéennes, chante son ouverture sur l'Occident et sa composante chrétienne. L'idéologie « libaniste », constamment et fermement opposée aux influences et aux immixtions arabes, s'appuie sur trois piliers : la défense du particularisme libanais ; l'institutionnalisation des relations entre chrétiens et musulmans ; le maintien du libéralisme.
Les qualités de meneur d'hommes de Pierre Gemayel le conduisent à fonder, avec d'autres chrétiens (Charles Hélou qui sera président de la République en 1964 ; Georges Naccache, propriétaire du quotidien L'Orient), le 21 novembre 1936, les Phalanges libanaises, organisation de militants sportifs et nationalistes qui se déclare « politiquement neutre ». Le mouvement prend bientôt la dénomination arabe de « Kataëb » — traduction du terme français — puis celle de Parti démocrate social, qui ne sera jamais usitée. Président à vie des Kataëb, Pierre Gemayel n'est pas un homme de dialogue ; il est réservé, introverti, et son élocution est laborieuse. Pourtant, il galvanise les militants et même les foules au cours d'assemblées populaires et surtout de parades sportives et militaires. Mais, à dater de 1951, les Kataëb, devenues parti politique, sont réorganisées sous une direction collégiale. Il est décidé d'intensifier la préparation militaire et de développer une milice apte à se substituer[...]
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Écrit par
- Elizabeth PICARD : chercheur à la Fondation nationale des sciences politiques, docteur en science politique
Classification
Autres références
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GEMAYEL BÉCHIR (1947-1982)
- Écrit par Elizabeth PICARD
- 1 220 mots
- 1 média
Béchir Gemayel est un produit exemplaire de la petite bourgeoisie maronite au Liban. Né le 10 novembre 1947 à Bickfaya, au cœur de la montagne chrétienne, ce fils de pharmacien a suivi une filière classique : école secondaire chez les Jésuites, puis université Saint-Joseph, d'où il sortit licencié...
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LIBAN
- Écrit par Philippe DROZ-VINCENT , Encyclopædia Universalis , Elizabeth PICARD et Éric VERDEIL
- 26 390 mots
- 18 médias
...palestiniennes qui les ont rejointes les unes après les autres profitent de l'éclatement de l'armée, en mars 1976, pour resserrer leur étau autour des régions centrales du Metn et du Kesrouan où le président Frangié se réfugie parmi ses alliés du Front libanais dirigé par Camille Chamoun etPierre Gemayel.