GOUROU PIERRE (1900-1999)
Le géographe Pierre Gourou a traversé le xxe siècle avec une activité et une production d'une longévité exceptionnelle qui a donné naissance à une douzaine de livres. Du Tonkin (1931) à L'Afrique tropicale, nain ou géant agricole ? (1991), son œuvre présente une très grande continuité, avec une problématique récurrente sur les relations entre les hommes et les milieux naturels, passant nécessairement par les cultures ou les civilisations.
Né à Tunis en 1900, il manifesta très tôt une passion pour l'Extrême-Orient. Après un cursus universitaire effectué à Lyon, qui se termina en 1923 par l'agrégation d'histoire et géographie, il obtint en 1927 un poste en Indochine, au lycée Albert-Sarraut d'Hanoi, au cœur d'un delta asiatique très densément peuplé (Les Paysans du delta tonkinois, 1936). Il y resta une dizaine d'années et y mit au point sa propre méthode de recherche. Les sociétés sont abordées à travers les paysages qu'elles créent et leur capacité à occuper l'espace selon des densités de population plus ou moins grandes.
Avant et après la Seconde Guerre mondiale, Gourou a joué un rôle d'expert sur les problèmes de développement de l'Indochine. Au début de sa carrière, il prenait en compte les facteurs politiques dans ses analyses. De sa participation à une négociation avec une délégation viêt-minh en Indochine (1946), il retira une telle impression d'inutilité qu'il s'éloignera désormais de toute forme d'action au côté d'un pouvoir politique quel qu'il soit.
Pierre Gourou appartenait à la famille intellectuelle de l'École des Annales, par Lucien Febvre, qu'il a toujours considéré comme son maître et par Fernand Braudel, qui fut l'un de ses meilleurs amis. Pour lui, la configuration actuelle des paysages humanisés n'est pas directement déterminée par le milieu naturel, comme beaucoup à diverses époques l'ont affirmé, mais résulte de l'interposition d'un troisième terme, qui est la civilisation. Tout au long de son œuvre, Gourou ne cessera plus d'utiliser ce concept, qu'il fera évoluer au fil des années et des publications. À partir de son livre Pour une géographie humaine (1973), il définit la civilisation par « ses techniques de production et ses techniques d'encadrement », donnant à cette dénomination une acception plus large que celle de « techniques d'organisation » ou « de contrôle territorial » précédemment utilisées. Il s'agit d'encadrements relevant de la société civile (famille, langage, régime foncier, préjugés, mentalités, religion...) et de la société politique (cadres villageois, tribaux, étatiques...). Mais en restant délibérément à un niveau descriptif, en renvoyant aux autres disciplines pour leur analyse approfondie, Pierre Gourou s'est refusé à intégrer son étude des encadrements dans une théorie sociale plus générale.
Il a longtemps été connu essentiellement pour son ouvrage Les Pays tropicaux, principes d'une géographie humaine et économique (1947), livre qui a valu à son auteur la création d'une chaire de géographie du monde tropical au Collège de France (1947). Il en sera le titulaire jusqu'à sa retraite en 1970, tout en occupant une chaire de géographie à l'Université libre de Bruxelles. Le pessimisme exprimé dans la première édition des Pays tropicaux, déjà sensiblement atténué dans la seconde édition (1966), s'est mué en un optimisme pondéré dans les années 1980, notamment dans Terres de bonne espérance : le monde tropical (1982).
Pierre Gourou a adopté une position très critique vis-à-vis de la notion de « développement », qu'il jugeait superficielle et peu claire quant à ses objectifs. Sa référence pour le développement était le Japon qui, grâce à ses encadrements, avait rejoint[...]
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Écrit par
- Michel BRUNEAU : directeur de recherche au C.N.R.S., président de la section Espace, territoires et sociétés du Comité national de la recherche scientifique
Classification
Autres références
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GÉOGRAPHIE
- Écrit par Dominique CROZAT , Jean DRESCH , Pierre GEORGE , Philippe PINCHEMEL , Céline ROZENBLAT et Jean-Paul VOLLE
- 20 451 mots
- 2 médias
...Vidal et vont donner ses lettres de noblesse à la géographie humaine française tout au long de la première moitié du xxe siècle. D'autres, comme Pierre Gourou et les tropicalistes, vont défricher la géographie des aires culturelles et des civilisations à partir de l'analyse des organisations et...