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HÉLIAS PIERRE-JAKEZ (1914-1995)

La biographie de Pierre-Jakez Hélias fait de lui le témoin d'une société bretonne traditionnelle. Elle enseigne, en effet, que cet enfant pauvre du pays bigouden, pour qui le breton fut langue maternelle, devint agrégé de lettres classiques et accéda à la notoriété littéraire. Son engagement confirme ce statut : il participa dès l'après-guerre aux combats laïques pour la langue bretonne, en collaborant à des revues (Brud) et à des associations (ar Falz) et, surtout, en assurant les émissions de radio en langue bretonne dont il reçut la charge à la Libération. Ce fut pour lui l'occasion d'inventorier la société bigoudène. Il attesta la valeur de la culture paysanne au moyen de cours, de dialogues radiophoniques, de nombreuses chroniques, souvent bilingues (Diviziou eun amzer gollet - Devis d'un temps perdu, 1966), puis au moyen de témoignages ethnographiques (le célèbre Cheval d'orgueil, 1975 ; Les Autres et les miens, 1977). Quant à sa production littéraire, ses thèmes centrés sur le pays bigouden la rendent inséparable des textes documentaires. De cette œuvre bilingue, on peut dire en simplifiant qu'elle fut d'abord théâtrale (dialogues ; pièces symbolistes fondées sur de légendaires figures bigoudènes, comme Planedenn Gralon meur - Le Jeu de Gradlon, 1950 ; pièces véristes situées dans le quotidien paysan comme Ar mevel bras - Le Grand Valet, 1960). Puis Pierre-Jakez Hélias publia des œuvres poétiques (Maner kuz - Manoir secret, 1964 ; Ar mên du - La Pierre noire, 1971 ; An tremen-buhez - Le Passe-Vie, 1979, etc.). À la fin de sa vie, il écrivit aussi plusieurs romans – uniquement en français cette fois – comme L'Herbe d'or (1982) ou La Nuit singulière (1990).

Pierre-Jakez Hélias n'a pas conçu la littérature comme moyen d'exprimer sa subjectivité. Il l'a mise au service d'une défense et illustration du breton en ciselant une langue littéraire ou en abordant des sujets et des genres inattendus (haiku, poésie métaphysique, théâtre policier, etc.). Dans le même temps, il s'est employé à prouver que la société bidougène est riche de potentialités littéraires. En évoquant sa rêverie d'enfance sur le langage, il a peint ce qu'il concevait comme l'irréductible imaginaire lié à la langue bretonne. Paradoxalement, une telle idée ne l'a pas empêché de traduire ses textes, mais cela au prix d'une recréation qui fait de lui un écrivain de langue française : traduire impliqua pour lui un travail de “bretonnisation” du français.

Ce qui unifie cette œuvre, c'est la peinture de la société bigoudène dans l'entre-deux-guerres ou dans l'après-guerre – singulièrement de ses membres les plus pauvres. Apparemment, on pourrait croire que Pierre-Jakez Hélias a eu le geste de l'ethnographe. Par exemple, il a montré la complexité ainsi que l'étrangeté du monde bigouden. Il en a noté les mœurs, les croyances et les contes. Il a explicité des règles sophistiquées de hiérarchie, de solidarité ou de savoir-vivre. Tout particulièrement, il a pointé chez les Bigoudens les plus misérables une morale de l'honneur, sorte de dignité militante qu'on peut nommer morale de l'orgueil.

En vérité, Pierre-Jakez Hélias s'est montré réticent envers l'objectivité ethnographique. Ses témoignages ont presque toujours recours à l'implication personnelle. C'est sans doute cet heureux mélange qui séduisit dans Le Cheval d'orgueil. Étrange ethnographie qui se dit souvent par une œuvre de fiction ! Cette approche biaisée par l'imaginaire est l'indice d'une tension originale. “Où est ma parole ?” telle est la question qui revient sous des formes variables : comment être l'écrivain d'un monde oral ? comment décrire une civilisation alors qu'on est persuadé que sa richesse[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de lettres modernes, doctorat d'études celtiques, maître de conférences à l'U.F.R. de lettres de l'université de Nantes

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