KAST PIERRE (1920-1984)
Né le 22 décembre 1920, Pierre Kast appartient à cette génération que l'histoire a fait mûrir brutalement. En 1940, sans avoir connu la drôle de guerre, il découvre le drôle de jeu : responsable d'un mouvement d'étudiants communistes, il est un des organisateurs de la manifestation du 11 novembre. Arrêté quelques jours plus tard, il passe cinq mois en prison, et plonge ensuite pour quatre années dans la clandestinité. Après la Libération il est pendant un temps très court à la tête du mouvement étudiant créé par le Parti communiste, mais refuse alors la carrière de permanent à laquelle il pouvait prétendre, et choisit le cinéma : il passe le concours d'entrée à l'I.D.H.E.C. Reçu premier, il démissionne immédiatement, séduit par une rencontre avec Henri Langlois. Il entre alors à la Cinémathèque française. Sa carrière est protéiforme : journaliste, plus essayiste que critique (à Action, aux Cahiers du cinémaou à Positif), cinéaste naturellement, responsable du mouvement des ciné-clubs et de la Cinémathèque française. Voyageur aussi (il aima le Portugal et le Brésil), et romancier (Les Vampires de l'Alfama, 1975 ; Le Bonheur ou le pouvoir, 1980 ; La Mémoire du tyran, 1982). Amateur de plaisirs et homme de goût, il fut un maillon de cette chaîne d'esprits clairs qui nous vient du xviiie siècle, et qui joint avant lui Stendhal à Roger Vailland.
Il se sentait proche de Raymond Queneau (de l'amateur de mathématiques, de l'oulipien comme de l'auteur du Chiendent), des humoristes anglais tels Swift ou Samuel Butler, de Conrad et de Kafka. Il prisait chez eux la lucidité, et une écriture en forme de parabole. Il se méfiait de ce que l'après-guerre appelait réalisme, et défendait quelques films rares, comme L'Âge d'or de Buñuel, Monsieur Verdoux de Chaplin, ou Noblesse oblige de Hamer : « Ce sont des fables, qu'il n'est pas question de traduire dans une autre forme. » Cinéaste, après avoir été assistant de Grémillon, de René Clément, de Renoir et de Preston Sturges, il a presque toujours tenté de réaliser de ces fables qu'il avait aimées chez les autres. Il n'a été d'aucune école, comme Alain Resnais qui était de sa génération et qu'il admirait sans réserves. Auteur de courts-métrages incisifs, froidement intelligents, dont le sujet apparent (l'art pompier, les gravures de Goya, l'architecture de Claude-Nicolas Ledoux) lui donnait l'occasion de parler du présent, il est passé au long-métrage en 1957.
Pierre Kast n'appartient pas à la « nouvelle vague », pas plus que Alain Resnais : il est plus âgé, plus expérimenté, plus politique que les jeunes gens qui débutent autour de 1960 sous la bannière jaune des Cahiers du cinéma. Mais il bénéficie de l'ouverture du marché qui se produit alors. En 1959, il tourne Le Bel Âge, son film le plus personnel et le plus réussi : faux long-métrage, juxtaposition de trois nouvelles d'une trentaine de minutes, écrit avec une sécheresse soulignée par un commentaire littéraire brillant, c'est l'exploration du monde des sentiments amoureux tels que cet amateur de science-fiction voudrait qu'ils soient. Il y engage ses amis : Marcello Pagliero, Boris Vian, Jacques Doniol-Valcroze, et quelques jolies femmes (Alexandra Stewart, Françoise Prévost, Françoise Brion, Ursula Kubler). À travers Le Bel Âge, Pierre Kast a rencontré les happy few de la génération qui le suivait.
Les œuvres qu'il a réalisées par la suite, après La Morte Saison des amours (1961) tourné dans le cadre des salines d'Arc-et-Senans, ont été moins abouties. Tant par manque de moyens (films à petit budget, coproductions acrobatiques avec le Portugal, le Brésil, voire l'Italie ou l'Espagne) que par la difficulté de l'auteur à raconter une histoire : Kast le moraliste, Kast le[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre JEANCOLAS : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma
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