LOTI PIERRE (1850-1923)
Très tôt après sa mort, Pierre Loti était tombé dans un discrédit profond. Mais depuis les années 1980, il connaît une faveur nouvelle. Ce n'est plus la gloire qui l'avait entouré de son vivant – lui qui fut en son temps le plus jeune académicien français –, mais une réévaluation en prise avec nos préoccupations actuelles. Amorcée en 1972 par un article de Roland Barthes sur Aziyadé, elle se poursuit par la réédition à peu près complète d'une œuvre qui n'était plus guère accessible et, surtout, par la publication de son Journal, jusqu'alors inédit, d'abord sous forme de fragments (Cette éternelle nostalgie, Soldats bleus), puis dans son intégralité. Se sont également multipliées biographies et études critiques qui proposent de Loti une vision bien différente de la fade image d'Épinal demeurée dans la mémoire du public et selon laquelle Loti se réduirait à un écrivain pour dictées et pour bibliothèques de familles provinciales.
La création d'un personnage
Cette redécouverte est facilitée par la vague actuelle de l'autofiction ; l'œuvre de Loti, en effet, est inséparable de sa vie, trace d'une existence promenée aux quatre coins du monde sur les navires de la Marine nationale à laquelle l'officier Julien Viaud (tel est son nom véritable), né en 1850, est resté fidèle de 1867, date de son entrée à l'École navale, jusqu'en 1910, date de sa mise à la retraite.
De ses premières escales (île de Pâques, Tahiti, Sénégal, Monténégro, Constantinople), Julien Viaud, excellent dessinateur (il fut formé en cette discipline par Marie, sa sœur aînée, qui avait reçu l'enseignement d'un célèbre peintre de l'époque, Léon Cogniat), adresse à des magazines illustrés des dessins qui, publiés sous forme de gravures accompagnées de brefs commentaires, constituent en fait les premières publications de celui qui n'est pas encore Pierre Loti. De Tahiti (où il fait une double escale en 1872 qui donnera Le Mariage de Loti, 1880, son deuxième livre, celui qui le rend célèbre), il avait rapporté un surnom (« loti » signifie laurier-rose, couleur rose) qui fut d'abord le nom du héros de ses premiers livres avant de devenir son nom d'auteur en 1881, pour Le Roman d'un spahi.
Surtout il rapporte de ses voyages des pages du Journal intime (il tient celui-ci depuis l'adolescence), qui vont donner naissance à son premier livre, Aziyadé, un peu par hasard, sur l'insistance de ses amis,– puis à la plupart de ses livres. À son retour de Turquie (Salonique et Constantinople, 1876-1877), c'est donc Aziyadé(1879), où se met en place la thématique qui va traverser toute l'œuvre – et que l'écrivain dégagera dans ses livres de souvenirs, Le Roman d'un enfant (1890) et Prime jeunesse (1919). Au-delà de l'histoire d'amour tragique entre l'officier de marine et la jeune femme exotique, c'est bien, plus profondément, la tension constante entre le désir de l'ailleurs, des lointains, le goût des départs, et le besoin tout aussi fort du retour à la maison familiale, au territoire de l'enfance (Rochefort, en Charente-Maritime, l'île d'Oléron, berceau de la famille maternelle : sa mère, le seul véritable amour de Julien). Loti a trouvé dans son métier de marin la manière de vivre cette insatisfaction permanente, cette pratique du va-et-vient incessant, d'où naît la nostalgie du lieu où il n'est pas, mais où il aspire à être de nouveau – même si le sentiment de la « dernière fois » vient colorer de teintes funèbres le plaisir intense qu'il éprouve à savourer toute la richesse de l'instant tellement éphémère.
Dans ses premiers livres, Loti arrange un peu les événements qu'il a lui-même vécus (il a cette formule pour définir le rapport de ses livres à sa[...]
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Écrit par
- Bruno VERCIER : historien de la littérature
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Autres références
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