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PIERRE LOTI, CENT ANS APRÈS

Pierre  Loti, Julien Viaud pour l’état civil, est mort à soixante-treize ans, le 10 juin 1923. L’officier de marine (quarante-deux ans de service) et l’auteur à succès (pilier des éditions Calmann-Lévy et académicien français) reçurent les honneurs de funérailles nationales. Dans un pamphlet, André Breton signifia, lui, « un refus d’inhumer ». Déclaré « idiot » par le pape du surréalisme, Loti entra dès lors au purgatoire des lettres. Roland Barthes, au début des années 1970, l’en fit sortir. Le critique présenta Aziyadé comme un livre certes « démodé » mais précurseur. Ce récit fragmenté, prenant sujet de rien et parlant du vide, annonçait le nouveau roman. Ce texte mettait en scène, au travers d’une série de déguisements, les réalités d’une sexualité interdite. Un peu malgré lui, Loti quittait le monde bien-pensant pour entrer dans la modernité.

La quête d’un ailleurs

En 2023, cent ans après sa mise au tombeau dans la propriété familiale de l’île d’Oléron, Pierre Loti et ses écrits – désormais presque tous accessibles dans différentes éditions de qualité – font toujours l’actualité. Rencontres, expositions et publications ont célébré un peu partout l’écrivain voyageur. Grâce aux initiatives de la très active Association internationale des amis de Pierre Loti, présidée par Marie-Ange Gerbal, nul n’est en reste. La Poste a émis à 750 000 exemplaires un timbre à l’effigie de Loti, d’après une photographie où, à la mode turque, il porte veston blanc et fez rouge. Un confiseur basque a fabriqué un chocolat pour rendre hommage à celui qui séjourna trente ans à Hendaye. Il y mourut dans la villa qu’il avait achetée en 1903 et baptisée la « maison du solitaire ». Quant à la demeure natale de Rochefort (Charente-Maritime), elle bénéficie d’une dotation de la Fondation du patrimoine pour rénover et redécouvrir la salle gothique et la mosquée, le salon turc et la chambre arabe, la chambre chinoise et la pagode japonaise, la salle des momies et la chambre océanienne, conçue comme une « cabine immobile », selon la jolie formule de Claude Stefani, conservateur des musées de Rochefort.

Trois manifestations parisiennes ont ouvert, en mai 2023, les festivités lotiennes. Dans l’auditorium de l’Académie française, après l’hommage d’Hélène Carrère d'Encausse à l’écrivain, ses meilleurs spécialistes, Bruno Vercier et Alain Quella-Villéger, sont revenus, l’un sur le retour de Loti au siècle présent, l’autre sur son entrée dans l’illustre Compagnie. Celui qui en était, en 1891, son plus jeune membre reconnut dans son discours de réception que, parmi toutes les légendes formées autour de lui, il en était une qui « par hasard s’est trouvée fondée » : « Je ne lis jamais ! » À la Sorbonne, un colloque international organisé par Henri Scepi a étudié les récits du voyageur, aussi habile à écrire le monde qu’à le dessiner ou à le photographier.

Dans le grand amphithéâtre de la Société de géographie, on s’est mis dans les pas de l’explorateur toujours à la rencontre de l’autre, mais aussi des siens et de lui-même. Eri Ohashi, par une patiente étude sur le terrain et dans les archives, a reconstitué le séjour de Loti à Nagasaki, qui inspira le roman Madame Chrysanthème (1888). Le voyageur visite les temples shintoïstes et bouddhistes de la cité, en quête d’une foi perdue. Dans le Pacifique comme en Extrême-Orient, Julien Viaud aspire à retrouver un guide et part à la recherche des traces de son frère, Gustave. Chirurgien de la marine, premier photographe en 1859 de Tahiti, dont il aima éperdument les femmes, Gustave Viaud meurt à vingt-huit ans de fièvres contractées sur le Mékong. Il sera immergé au large de Ceylan, le 10 mars 1865. Dix-huit ans plus tard, Loti, lieutenant de vaisseau, en route pour les opérations du[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite d'histoire ancienne, université de Bourgogne, Dijon

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