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LOTI PIERRE (1850-1923)

Le voyage et le travestissement

L'Extrême-Orient ne constitue cependant pas son territoire d'élection. La découverte de l'Islam dès 1869 (Afrique du Nord et Turquie) avait révélé Loti à lui-même : climat, couleurs, coutumes, costumes, sentiment du temps passé et d'un empire condamné, tout l'avait fasciné en ces lieux. Sa seconde patrie sera donc cette Turquie où il reviendra une dizaine de fois (avec presque autant de livres, de Fantôme d'Orient,1892, à Suprêmes Visions d'Orient, 1921, en passant par Les Désenchantées, 1906) et qu'il défendra jusqu'au bout contre les accusations de génocide (« Les massacres d'Arménie », 1919) ou lorsqu'elle choisira, durant la Grande Guerre, le « mauvais côté ».

Abandonnant le « roman exotique » (mais que le terme de « roman » convient mal à ces livres !) pour le pur récit de voyage, il publie en 1890 Au Maroc qui inaugure cette veine – pour nous la plus féconde – et qui donnera Le Désert, Jérusalem, La Galilée ; Les Derniers Jours de Pékin ; L'Inde (sans les Anglais) ; Vers Ispahan ; La Mort de Philae ; Un pèlerin d'Angkor. Loti, excellent dessinateur, est un peintre qui fait voir, et surtout ressentir, avec le minimum de mots et de moyens. Au-delà du pittoresque, il illustre parfaitement le concept du paysage-état d'âme. Une âme inquiète, curieuse, avide des lieux, des gens, des sensations.

Le voyage lui est aussi l'occasion de changer d'apparence. Loti, qui n'aime pas son apparence physique, se déguise afin de mieux éprouver l'altérité. Le costume d'emprunt lui permet de se fondre dans le paysage, et de ne pas faire tache. Plus tard, devenu souvenir de voyage, il participe à la reconstitution des décors exotiques que l'écrivain élabore dans sa maison natale : chambre arabe, salon turc, pagode japonaise, salle chinoise, et, pour finir, en 1897, la fameuse « mosquée » : en réalité plutôt un palais syrien, où Loti installera en 1905 la stèle funéraire d'Aziyadé dérobée dans le cimetière d'Istanbul... Cette maison où il voyage dans l'espace aussi bien que dans le temps (elle comprend également une salle gothique, une salle Renaissance) est le lieu de fêtes costumées somptueuses (dîner Louis XI, fête chinoise) – qui procurent à Loti, ordonnateur scrupuleux de ces divertissements, aussi bien le sentiment de l'ailleurs que celui de la vanité de toute chose...

On n'en finirait pas de recenser les contradictions qui structurent ainsi le personnage de Loti et sa vision du monde partagée entre ici et là-bas, mondanité et simplicité, goût de la vie et hantise de la mort. Écrivain singulier, il a su, à l'écart des mouvements littéraires, recréer, dans une langue très dépouillée, très musicale aussi, un univers qui rassemble le vaste monde et le sujet le plus intime. Cela fait de lui un écrivain de l'impression, mais aussi un écrivain impressionniste, étiquette certes galvaudée mais qui convient parfaitement à celui qui s'attache à peindre les changements de lumière sur un même motif (la mer, le désert, les murs de chaux blanche...), qui note avec minutie le temps qu'il fait, les variations du climat, le tournant des saisons. Sous toutes ses formes, le Temps constitue le thème central de son œuvre, et la plus prégnante, est sans doute celle du temps qui passe et de la mort inéluctable : fuite du temps contre laquelle tant Julien Viaud que Pierre Loti ont lutté de toutes leurs forces, Julien par le culte du souvenir, conservant jusqu'au plus impalpable des objets – il faut lire dans Le Roman d'un enfant les chapitres où Loti raconte la fondation de son petit musée d'enfance (et son embaumement dans Prime jeunesse) –, découvrant dans la photographie un autre moyen de fixer et d'éterniser les apparences ; et Pierre Loti[...]

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