RŒDERER PIERRE LOUIS (1754-1835)
Fils de parlementaire, lui-même conseiller au parlement de Metz à vingt-cinq ans, auteur de nombreux mémoires fort prisés de l'Académie de Metz, Rœderer arrive aux États généraux avec une forte réputation d'économiste et de financier, comme avec une solide expérience du journalisme. Jacobin modéré à la Constituante, il fait encore figure de meneur de la gauche : une gravure de 1791 en fait, avec Robespierre et Pétion, l'un des trois du « Triumvirat patriote ». Sous la Législative, il est élu procureur général syndic de la Seine, ce qui lui donne à peu près les pouvoirs cumulés d'un préfet de la Seine et d'un préfet de police ; d'où son rôle décisif le 10 août, quand il décide le roi et la famille royale à abandonner les Tuileries pour se réfugier à l'Assemblée (qui pourrait oublier la savoureuse composition de son personnage donnée par Louis Jouvet dans La Marseillaisede Jean Renoir ?). Dès ce moment, resté beaucoup plus près de Pétion que de Robespierre, Rœderer a évolué vers l'aile droite de la Gironde, ce qui ne l'empêchera pas de conserver plus tard, en parlant de ce temps, une lucidité assez impartiale : « On a appelé anarchie la situation de la France en 1792 ; c'était tout autre chose. L'anarchie est l'absence de gouvernement, et la volonté de chacun substituée à la volonté générale. En 1792, il y avait une volonté générale unanime ; il y avait une organisation terrible pour la former, la confirmer, la manifester, la faire exécuter. En un mot, il existait une démocratie, ou, si l'on veut, une ochlocratie redoutable, résidant en vingt-six mille clubs, correspondant ensemble, et soutenus par un million de gardes nationales. »
Resté dans la pénombre sous la Terreur, Rœderer reparaît comme journaliste après Thermidor et conquiert une audience notable, davantage à droite qu'à gauche ; en 1799, il s'avance dans la mouvance de Sieyès, et sert de liaison entre ce dernier et Bonaparte dans les semaines qui précèdent Brumaire ; il a vite choisi entre les deux hommes. Pendant deux ans et demi, il est l'un des plus proches confidents et conseillers du Premier consul, chargé notamment au Conseil d'État de tâches qui en font comme un vice-ministre de l'Intérieur et un quasi-ministre de l'Instruction publique ; il est de toutes les réunions restreintes où se prennent les décisions capitales. Et soudain c'est la semi-disgrâce ; Rœderer a-t-il trop flatté les ambitions dynastiques de Joseph Bonaparte ou a-t-il trop tôt voulu substituer un gouvernement de notables économiques à ce qui subsistait de l'égalitarisme révolutionnaire ? Les deux à la fois peut-être ; Napoléon le nomme sénateur mais ne se confie plus à lui qu'exceptionnellement ; il le prête sans regret à Joseph comme ministre des Finances du royaume de Naples de 1806 à 1808 ; il l'envoie administrer, loin de sa vue, le grand-duché de Berg, de 1810 à 1813...
Mais le plus intéressant n'est pas pour nous cette carrière compétente, et somme toute efficace ; il est dans le Journal que Rœderer tenait presque chaque jour, et où il notait soigneusement, le soir même, les propos de Napoléon. La rapidité de l'enregistrement semble pouvoir garantir ici le rendu fidèle de la forme autant que du fond des propos (on pourrait presque juger parfois de l'authenticité de propos napoléoniens, rapportés par d'autres, selon leur conformité stylistique aux notations, étonnamment convergentes, de Rœderer, de Caulaincourt et de Bertrand). Et, au fil de ces propos, se dégage un autoportrait de Napoléon entre 1799 et 1802, qui est sans doute le moins apprêté de tous .
« Il n'y a pas un homme plus pusillanime que moi quand je fais un plan militaire ; je me grossis tous les dangers et tous les maux possibles dans les circonstances ; je[...]
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Écrit par
- Jean MASSIN : écrivain
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