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MARTIN PIERRE-LUCIEN (1913-1985)

Contrairement à ses grands prédécesseurs – Marius-Michel s'est fait connaître par ses prises de position doctrinales, Legrain et Bonet furent des décorateurs non praticiens –, le relieur d'art Pierre-Lucien Martin est d'abord un homme de métier. Métier qu'il a appris à l'École Estienne, métier qu'il a exercé longtemps comme ouvrier ici ou là jusqu'en 1940, puis comme artisan pendant une dizaine d'années. Dans les ateliers de reliure industrielle Brodart et Taupin, il participe à la mise au point du « procédé Jotau » de couverture en bakélite moulée qui fut pour lui un contact marquant avec la reliure comme « bel objet moderne ». C'est ensuite la rencontre avec A. J. Gonon, relieur lettré, qui apporta à P.-L. Martin une ouverture sur le monde de l'art et de la culture.

L'immédiat après-guerre est pour lui une période charnière. Il se fait connaître par la qualité de ses pleines reliures, soit des copies de reliures romantiques ou « à la Lortic », soit de sobres « jansénistes » qui, les unes et les autres, restent appréciées ; il pénètre dans le petit monde des libraires et des bibliophiles. Enfin, il se lance dans la reliure à décor moderne, grâce aux encouragements décisifs que lui apporte André Rodocanachi. Très vite, il s'adonnera entièrement à la création. Sa maîtrise du métier lui permettra de faire ce que déjà Paul Bonet avait obtenu vingt ans auparavant : associer recherche artistique et technique raffinée.

En 1953, Pierre-Lucien Martin est admis à présenter ses œuvres récentes à la seconde exposition de la reliure originale. Bien qu'il ait quarante ans, il y est le plus jeune et le seul représentant de la génération de l'après-guerre parmi les aînés, notamment Paul Bonet et Rose Adler auxquels il est confronté. Certes, certaines reliures attestent quelque influence du premier. Mais d'autres, plus représentatives, le distinguent déjà et le définissent, avec leurs compositions strictement géométriques dont il apparaît d'emblée qu'elles sont soigneusement élaborées. Face à l'apparente spontanéité de Rose Adler, à la prolifération inventive de Paul Bonet, Martin trouve sa voie, celle de la règle et du compas, du dessin médité, de la construction intellectuellement ordonnée. Les compositions de losanges mosaïqués sont des œuvres clés. Leur savant agencement procure un effet de fausse perspective qui, plus tard, se révélera en parenté avec l'op art.

Durant toute sa carrière, il préservera cette orientation vers des compositions plus optiques que plastiques. Elle manifeste un triple refus : refus des retombées tardives de l'Art déco ; refus de tout imaginaire plus ou moins lyrique ; refus de la collusion ambiguë de la reliure et de l'art abstrait qui est en voie de s'accomplir dans les œuvres tardives de P. Bonet et de R. Adler. P.-L. Martin a voulu revivifier : un art décoratif qui, contrairement à celui de Marius-Michel et de Legrain par exemple, ne puise pas à un répertoire codifié de formes mais invente son propre vocabulaire.

Pour le choix des couleurs, il fut, comme ses confrères, tributaire des possibilités qu'offrent les fabricants de peaux, maroquins, puis box et peaux vernies. Mais, de plus en plus, il s'est imposé des limitations qui ne sont pas seulement des préférences chromatiques. Les quelques palettes restreintes qu'il privilégie – noir-gris-blanc, noirs en forte opposition avec des couleurs pures, teintes monochromes retenues comme le beige, gammes de bruns clairs et foncés – identifient sa production et mettent en valeur le dessin auquel tout son projet est soumis.

Lorsque l'habileté des praticiens et l'appui des amateurs le lui permettront, aux effets de fausse perspective de sa première période il substituera, par le recours aux creux et aux reliefs,[...]

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Écrit par

  • : Conservateur à la Bibliothèque nationale

Classification

Autres références

  • RELIURE

    • Écrit par et
    • 8 862 mots
    Tout comme Rose Adler, Creuzevault et Mercher, Pierre-Lucien Martin (1913-1985) était relieur de formation. À l'issue de son apprentissage à Estienne, il exerça dans divers ateliers puis ouvrit le sien, en 1940. Il entreprit ses premières recherches de décors dès 1945 et élabora un style où dominent les...