MENDÈS FRANCE PIERRE (1907-1982)
Le mendésisme
Irréalisme politique et réalisme économique
Décrivant, en 1962, La République moderne qu'il souhaitait, il la fait reposer sur un gouvernement s'étendant sur toute la législature, comme en Grande-Bretagne. Pour atteindre ce but, il ne propose qu'un moyen : la liberté de dissolution confiée au Premier ministre. Cette arme aurait certainement donné la victoire à Pierre Mendès France en 1955, s'il avait pu en disposer. Mais elle aurait empêché qu'on l'investît en 1954. Quand on voit les moyens utilisés par les députés de la IVe République pour bloquer le recours à un droit de dissolution pourtant très restreint, on imagine leur attitude s'il avait été discrétionnaire. Ils auraient pris soin de n'accepter jamais à Matignon que des Chautemps et des Queuille, personnalités souples, sachant éviter les problèmes gênants et se concilier la reconnaissance des parlementaires, indispensable pour arriver au pouvoir et y revenir.
On peut douter que Pierre Mendès France ait eu « un goût d'avoir raison plus fort que le désir d'aboutir ». Toutes nos conversations m'ont persuadé que son désir d'aboutir était aussi vif que son goût d'avoir raison, mais qu'il se refusait à accepter les moyens du succès. Sous le régime d'autrefois, le refus de ruser, de dissimuler, de louvoyer était suicidaire. De même le recours à l'opinion publique pour contraindre les députés. Elle pouvait permettre de s'imposer au pouvoir dans des circonstances tout à fait exceptionnelles comme en juin 1954. Mais les parlementaires savaient ensuite se débarrasser vite de celui qu'il avait dû supporter quelque temps. Le nombre et l'indiscipline des partis, la faiblesse des coalitions, la dispersion des suffrages populaires laissaient la maîtrise du jeu à l'Assemblée nationale. Dans un tel système, elle aurait facilement tourné la liberté de dissolution, et même la dissolution automatique rêvée par certains.
Pierre Mendès France avait compris qu'il fallait restituer aux citoyens le pouvoir de trancher dont ils se trouvaient ainsi dépouillés. Mais il s'obstinait à repousser les seuls moyens qui auraient permis d'y parvenir. Tout un passage de La République moderne conteste que le gouvernement de législature soit lié à l'existence de grands partis disciplinés dont la bipolarisation garantit une majorité docile à son leader, qui peut ainsi appliquer le programme approuvé par les électeurs. Comment l'admirateur du régime britannique pouvait-il s'aveugler ainsi sur son mécanisme essentiel ? Qu'un homme à l'intelligence si aiguë se montre si peu clairvoyant, cela traduit un refus profond de remettre en cause les idées de sa jeunesse et le mythe du radicalisme.
On le vit bien en 1955, quand il s'efforça de rénover la vieille maison et d'en faire le pivot du Front républicain. Jean Lacouture pense qu'Edgar Faure fit échouer l'entreprise en provoquant des élections anticipées avant qu'elle ne soit achevée. En vérité, elle était condamnée à l'échec par sa nature même. À quoi bon faire entrer des milliers de militants dans un parti radical dont la structure ne permettait ni de choisir les candidats ni de discipliner les élus ? À quoi bon étoffer une organisation et l'entourer d'une alliance grâce au prestige de l'ancien président du Conseil, s'il n'était pas le chef de l'une et de l'autre ? Engagée au nom de la vérité et de la loyauté, l'aventure finit en escroquerie politique quand le prestige de Pierre Mendès France servit à mettre Guy Mollet au pouvoir. La IVe République est morte ce jour-là dans l'esprit de nombreux Français.
La substitution de personnes a profondément traumatisé nos concitoyens. Ne soyons pas aveugles, cependant. Si elle ne s'était pas[...]
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Écrit par
- Maurice DUVERGER : professeur à l'université de Paris-I
- Emile SCOTTO-LAVINA : journaliste
Classification
Médias
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