MERTENS PIERRE (1939- )
Pierre Mertens est né le 9 octobre 1939 à Berchem-Sainte-Agathe, le jour où Hitler décida, en portant son offensive à l'ouest, d'envahir les Pays-Bas et la Belgique. Histoire publique et destin privé se confondent dès l'origine : Mertens est européen et sa culture internationale. Ce Belge francophone ne saurait s'enfermer dans les limites d'un royaume qui ne s'aime guère lui-même, et il a dû parfois faire la preuve qu'il appréciait autant les prix littéraires belges (le Rossel à la fin des années 1960 par exemple) que le Médicis français en 1987 pour Les Éblouissements.
Fiction et réalité
De son enfance bruxelloise, on retiendra l'amour qu'il porta à sa grand-mère, les pièces de théâtre qu'il rédigeait pour son école, l'accident de bicyclette, à treize ans, au cours duquel il fut renversé par la Ferrari du roi Léopold III et de son fils Baudoin – un souvenir qui fera retour dans Une paix royale. Il lit Kafka. Le procès des époux Rosenberg le passionne et le scandalise. Vers vingt ans, il rédige un long manuscrit, Paysage avec la chute d'Icare, d'où procéderont ses premiers écrits narratifs, composés de textes courts et de nouvelles, un genre qu'il affectionne (Le Niveau de la mer, 1970 ; Terreurs, 1980 ; Les Phoques de San Francisco, 1984). Juriste de formation (L'Imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l'humanité, 1974), il conduit, pour la Ligue des droits de l'homme et Amnesty International, des enquêtes sur la Grèce des colonels, le Chili de Pinochet et l'U.R.S.S. de Brejnev, le sionisme. À partir de 1971, le journal Le Soir lui permet de publier plusieurs centaines de chroniques sur des écrivains majeurs tels que Cortázar, Musil, Bernhard, Nabokov, ou bien oubliés comme Paul Gadenne. C'est dans Les Nouvelles littéraires qu'il formule en 1976 la notion de « belgitude ». Cet homme couvert d'honneurs et lauréat de nombreux prix littéraires, succède à Lucien Goldmann à la chaire de sociologie de la littérature à l'université libre de Bruxelles, et entre en 1990 à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
Pierre Mertens se consacre avec boulimie à l'écriture romanesque. Après, entre autres, L'Inde ou l'Amérique (1969), Les Bons Offices (1974), La Fête des anciens (1983), Perdre (1984) viennent Les Éblouissements. Mertens y retrace la vie du poète expressionniste Gottfried Benn, et s'interroge sur les fourvoiements des intellectuels modernes. Benn, médecin des pauvres et des prostituées, fasciné par la mort et les cadavres, bascula dans le nazisme en 1933, et ne revint sur cet engagement qu'à partir de 1936. La recomposition fragmentaire de ce destin passe par sept dates (7 chapitres), dont la dernière correspond à sa mort. Les nouvelles des Chutes centrales paraissent en même temps que le court récit des Lettres clandestines (1990). Fiction et réalité s'entremêlent pour reprendre la question du « qui suis-je ? », et plus encore du « qui sommes-nous ? », dans une quête d'identité lacunaire, qui demeure incertaine jusqu'à la mort. Les Lettres clandestines prennent leur origine dans l'existence du compositeur autrichien Alban Berg. Mertens imagine le monologue erratique du musicien tandis qu'il agonise à l'hôpital Rudolf de Vienne, peu avant Noël 1935, à cinquante ans : les personnages de sa vie et de son œuvre se pressent dans sa mémoire écartelée, et surtout celui d'Hanna Fuchs, un amour fulgurant et clandestin de dix années, dont il entrecroisera les initiales avec les siennes dans un cryptogramme (AHBF) pour en faire les notes de base de sa Suite lyrique en 1926.
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Écrit par
- Michel P. SCHMITT : professeur émérite de littérature française
Classification
Média
Autres références
-
BELGIQUE - Lettres françaises
- Écrit par Marc QUAGHEBEUR et Robert VIVIER
- 17 494 mots
- 5 médias
...François Weyergans, chez Thierry Haumont que chez Francis Dannemark. Cette présence se manifeste particulièrement dans Les Éblouissements (1987) de Pierre Mertens, roman qui, à travers un des grands poètes de ce siècle, Gottfried Benn, scrute les errements auxquels a pu mener le nazisme. Mertens, qui...