NAVILLE PIERRE (1904-1993)
Le nom de Pierre Naville est attaché, dans l'histoire des idées du xxe siècle, au mouvement surréaliste et au développement de la sociologie du travail. Élevé dans un milieu très aisé, le futur militant communiste a connu, de son propre aveu (Mémoires imparfaites, 1987), une enfance plutôt gâtée à l'abri des horreurs de la guerre. Inscrit en philosophie à la Sorbonne, il rencontre en 1922 Philippe Soupault et interrompt pour longtemps ses études ; collaborateur de plusieurs revues d'avant-garde, il participe en 1924 à la fondation du surréalisme.
Cette même année, il assure, avec Benjamin Péret, la direction de La Révolution surréaliste, après avoir publié à compte d'auteur une plaquette que diffusera la librairie de la rue Blanche : Les Reines de la main gauche, parfaite illustration de l'écriture automatique, “livre éperdu comme Picratt chez les cachalots”, “brouillard moral dans la plaine logique”, bref “le surréalisme pur”. Dans le quatrième numéro (juill. 1925), André Breton annoncera qu'il prend la direction de la revue ; Naville, lui, est passé à Clarté. À la question “Que peuvent les surréalistes ?”, il a répondu qu'ils doivent “s'engager résolument dans la voie révolutionnaire, la seule voie révolutionnaire, la voie marxiste” (La Révolution et les intellectuels, 1926). Quelques mois plus tard, Breton dissociera, dans Légitime Défense, le problème de la connaissance de celui de l'action et dénoncera l'influence “crétinisante” de la presse du Parti. À cette date, Naville, selon Maurice Nadeau, a rompu en fait avec le mouvement surréaliste. Du surréalisme, il conservera cependant le projet d'une libération totale de l'individu et une certaine idéalisation du marxisme. Autant que cette orientation utopique, son amitié pour Trotski — auquel il rendra plus tard hommage (Trotski vivant, 1962) — explique son exclusion, en 1928, du P.C.F.
La Seconde Guerre mondiale coïncide avec de notables changements dans les choix intellectuels de celui qui voulait confondre la voie poétique et la voie politique. Fait prisonnier en 1940, libéré l'année suivante, il aborde dans une optique antifreudienne la psychologie, dans Science du comportement (1942), et commence à étudier le travail humain. Entré au C.N.R.S. en 1947, il participe aux recherches engagées sur ce thème par Georges Friedmann avec lequel il publiera, en 1961-1962, un ouvrage collectif, le Traité de sociologie du travail.
Généralement présentée comme un ensemble composite, l'œuvre sociologique élaborée par Naville manifeste, en fait, la continuité et l'unité de ses intérêts. Elle traite essentiellement des conséquences de l'automation, avec, en amont, la prise en compte des mécanismes d'apprentissage et, en aval, un regard sur l'évolution de la classe ouvrière. Publiée en 1945, la Théorie de l'orientation professionnelle montre qu'à la mesure des aptitudes doivent être associées d'autres considérations concernant la structure de l'emploi, les fluctuations de la conjoncture, la prévision économique ; l'Essai sur la qualification du travail (1956) met encore l'accent sur “l'importance de la formation dans la qualification du travail”. S'agissant des effets sociaux de l'automation, Naville a tiré d'enquêtes qu'il a dirigées — L'Automation et le travail humain (1961) — une interrogation générale — Vers l'automatisme social (1963) — sur l'instauration de nouveaux rapports entre le travailleur, la machine, la hiérarchie, et la possible relève des procédures classiques d'intégration par des processus de désaliénation. La “nouvelle classe ouvrière” décrite par André Andrieux et Jean Lignon, dont il préfaça l'ouvrage paru en 1960, était donc appelée à connaître de profonds changements ;[...]
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Écrit par
- Bernard VALADE
: professeur à l'université de Paris-V-Sorbonne, secrétaire général de
L'Année sociologique
Classification
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