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PASCAL PIERRE (1890-1983)

Pierre Pascal est issu d'une souche auvergnate « sans fortune, mais forte de santé et de jugement ». Son grand-père était ouvrier aux chemins de fer, son père devint professeur de lettres et « monta » à Paris. L'accession de Pierre Pascal à l'École normale supérieure, en 1910, couronnait cette sage et sûre ascension sociale, typique de la IIIe République. La méticulosité, un goût invétéré pour la « belle ouvrage », un penchant pour la raison ordonnatrice, sont les fruits qu'a donnés chez Pierre Pascal l'éducation humaniste et laïque reçue de son père.

Mais, s'il est un produit de la nouvelle bourgeoisie intellectuelle issue de Jules Ferry, Pierre Pascal est devenu lui-même en rejetant la plupart des valeurs de sa classe sociale et de son époque. Rejet de l'agnosticisme et conversion à un actif catholicisme social, marqué par la pensée de Marc Sangnier et par l'influence de prêtres catholiques engagés dans le mouvement pour l'union des Églises (l'abbé Quenet, l'abbé Gratieux, l'abbé Portal) : « thala » à l'École, puis disciple de la pensée de Vladimir Soloviev, fréquentant les églises orthodoxes ou encore « vieux-croyantes » quand il n'a plus d'église catholique à sa portée, Pierre Pascal – contre sa famille, son milieu, puis son parti – restera toute sa vie un croyant robuste, un pratiquant sans tiédeur et un solide thomiste. Rejet aussi du chauvinisme français qui sévit avant et pendant la Grande Guerre. Rejet et presque horreur face à la morgue des dignitaires républicains patriotards et sourds à la religion, tel l'ambassadeur de France en Russie en 1918, Noulens. Rejet enfin de la confiscation de la révolution russe par un groupe bolchevik auquel Pascal appartint tant qu'il vit en lui un serviteur du peuple, mais qu'il rejeta très tôt, du vivant encore de Lénine.

Ces trois rejets, du matérialisme sans âme, du patriotisme haineux et du despotisme bolchevique, expliquent l'extraordinaire biographie de cet Auvergnat qui vécut dix-sept ans en Russie « soviétiste », fut un actif agent de propagande de la révolution russe, membre, avec Sadoul, Body, Victor Serge et quelques autres, de la petite section française moscovite du parti S.D. bolchevique, puis, rentré en France en mars 1933, entama une longue et fructueuse carrière académique qui se développa selon trois directions principales : la traduction littéraire, dont Pascal est un maître incontesté, l'histoire religieuse russe – son Avvakum reste à ce jour un livre insurpassé – et l'histoire des idées et des mouvements sociaux – son Pougatchev étant le meilleur fruit de cette orientation.

Victor Serge, Boris Souvarine, Body et d'autres ont laissé des portraits du Pascal bolchevik qui rédigeait les télégrammes de Tchitchérine, commissaire du peuple pour les Affaires étrangères, et dont la femme était secrétaire-dactylo à l'Internationale communiste. De ce long service de la révolution, Pascal a donné, un demi-siècle plus tard, non point des souvenirs mais un Journal qu'il tenait au jour le jour et dont les quatre tomes publiés vont de 1916 (envoi du lieutenant Pascal au G.Q.G. russe) à 1927. Cette année-là, il fait partie d'un petit groupe de révolutionnaires et d'anarchistes déçus pour qui la révolution est à présent confisquée et que le Guépéou surveille de très près et arrête de plus en plus souvent. Pascal n'a aucun penchant pour l'opposition mais il écrit néanmoins pour le bulletin communiste de Souvarine (reparti à Paris et excommunié du parti) : « L'opposition représente tout ce qui reste de révolutionnaire dans le parti communiste. Elle a cette utilité de délivrer, dans certains milieux, la pensée critique. » Les « mises en scène » du régime lui répugnent et il dénonce la comédie du dixième anniversaire d'Octobre, où se distingue Barbusse...[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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